des hommes et des saints

âge les années passent et déjà garlic se fâne, cinquante trois ans qui s'accélèrent et le coeur qui compte les deuils et les sourires. naissance et nationalité petite maison biscornue de miss edwige, 9 mai 1967, Guernsey Island. né d'une mère anglaise et d'un père français. à guernsey depuis toujours. n'a pas eu le temps de voyager depuis. métier, £££ l'étrange pasteur, qu'on dit sorcier. prépare des élixirs, sermonne quand il le faut. on débat avec lui, on rigole aussi. on a peur, on a honte. homme qui a gagné sa vie avec le temps. statut civil, orientation marié depuis plus de trente ans avec maria. deux enfants. daisy. fran. beaucoup de joie. pronoms il/he/him. faceclaim ben desombre. personnage inventé. crédits matisse, myself.

— caractère dérangeant, poétique, doux, n'oublie jamais rien, protecteur, passionné, versatile, curieux, gourmand, inventif, bavard, créatif, travailleur, réfléchi, calme, rêveur, mélancolique.

Garlic Dayman, 53 ans, pasteur/sorcier. (sound) Des rides qui commencent à poindre, des regrets, aussi. Abîmé par les années à Guernesey, abîmé par c'qu'il a fait, les occasions manquées, les invitations oubliées. Mais si accompli, désormais, si heureux. Une femme, Maria. Deux enfants. Des années qu'c'est comme ça, des années que ça va encore durer : les repas de famille, des déménagements qui viendront, bientôt, et puis, les confidences. Dire la messe et préparer des potions. Réchauffer le repas de Daisy même si elle va quitter la maison, rappeler à Fran que le linge se lave pas tout seul. Embrasser Maria avant de dormir, la serrer fort et lui dire combien l'aimer procure de la joie. Et se lever. Recommencer. Ouvrir les volets et remarquer que le jardin fleurit, que les bateaux prennent le large. Mettre des fleurs sur la sépulture de grand-mère. Et continuer.

C'est après une Guernesey ravagée par les flots, laissant les familles dans une situation précaire, leurs maisons insalubres, que Garlic naquit. Le varech recouvrant les jardins avait écrasé les jeunes pousses, et l'odeur des poissons morts imprégnait l'air poisseux. Les tuyauteries avaient déjà (re)commencé à rouiller. Les voisins retrouvaient leurs affaires chez l'un ou chez l'autre, et les routes encombrées par des déchets ne facilitaient pas les échanges. Dans ce paysage, pourtant, la reconstruction. Çà et là, on dégageait des chemins. On mettait la main sur des outils. On découvrait des machines ayant miraculeusement survécu. Les pêcheurs relevaient leurs bateaux, péniblement couchés, leurs coques, parfois, brisées.

C'est dans cette Guernesey là, dans la maison de miss Edwige (dont le salon avait été détruit) que Garlic prit sa première grande inspiration, et sentit, dans ses tous petits poumons, la pestilence de cette île atlantique. Nous étions en 1964 et sa mère avait dix-huit ans.

Elle avait fait l'amour avec un apprenti pêcheur très bon de cœur, qui voulait l'épouser et lui construire une maison. On peut bien dire faire l'amour car c'est bien cette flamme qui animait Aisling et Clotaire. Ils s'étaient rencontrés lors d'une fête de village et, comme ils avaient le même âge, et qu'ils étaient seuls, étaient tombés amoureux. Clotaire riait tout le temps car il voulait ressembler aux mouettes. On dit bien une mouette rieuse, n'est-ce pas ? Aisling, elle, ne souriait quasiment jamais car elle avait été triste toute sa vie. Toute sa vie avant Clotaire. Au début, ils savaient pas, ça. L'amour. Ça s'est imposé à eux. Garlic aussi, s'est imposé à eux.

Ça avait été difficile, car à l'école, on la regardait mal. Elle avait pleuré, on l'avait insultée. On avait dit salope, bâtarde, traînée, elle avait compris vite qu'elle était souillée. Pas d'avoir un enfant, mais de ces insultes. Elle n'était pas une salope, elle n'était pas une bâtarde, ni une traînée.

Elle était une femme et elle allait bientôt devenir mère. La Vierge n'était-elle pas aussi jeune quand elle a eu le Christ ? Pour la première fois, elle souriait. Son amant s'appelait Clotaire et ils allaient avoir dix-neuf ans.

Leurs mères étaient fâchées. Fâchées qu'ils n'aient pas réfléchi, fâchées qu'ils soient si bêtes. Et cet enfant, disaient-elles, leur gâcherait la vie à tous. Sa vie à elle, surtout. Aisling avait posé ses mains sur son ventre et avait déclaré que, si personne ne l'aimerait, elle, elle l'aimerait, cet enfant. Et puis, elle était intelligente. Avant d'être une salope, elle était première de classe. Elle était devenue le premier prix de physique-chimie de sa catégorie en région parisienne et avait écrit des essais sur la poésie de Victor Hugo. Elle parlait aussi bien l'anglais que le français, et commençait à étudier l'espagnol à travers les livres de son père. Sa seule erreur, bien sûr, avait été d'aimer Clotaire.

Pour Clotaire c'était plus difficile. Il avait quitté les bancs de l'école pour apprendre le métier de pêcheur auprès de son père et de son oncle. Il ne comprenait rien à la métaphysique et à la philosophie, mais la mer, ça, il savait. C'était là, dans son lui. On lui racontait des batailles navales et des récits de guerre, on lui apprenait à faire des nœuds. Il devint musclé à force de remonter les filets et, s'il ne gagnait pas de prix en tant que chimiste, il avait bon espoir de remporter les bras de fer à la prochaine fête du village. Pour lui, aimer Aisling n'était pas une erreur mais un cadeau de Dieu.

Durant toute sa grossesse, Aisling essuya les insultes, les remontrances et la douleur. Son petit corps n'avait pas fini de croître et vivre pour deux l'épuisait vite. Elle était tombée une fois, dans l'escalier, ses jambes toutes menues ne tenant plus, et elle avait eu peur pour son enfant. Elle avait eu peur de le perdre. Clotaire venait la voir le plus souvent possible, quand il n'était pas sur la mer et qu'elle n'était pas en cours. Les deux derniers mois, elle arrêta de se rendre au lycée. Elle lu beaucoup et pria plus que de raison. Elle était très croyante et son père était pasteur.

Puis il y eut la tempête et la famille de Clotaire vit le bateau familial périr. Le bois avait été abîmé, la coque, fissurée. Les voiles déchirées ne pourraient plus, à l'avenir, pousser les bateaux vers les zones où le poisson afflue. Ils n'étaient pas les seuls pêcheurs touchés par ce drame, et tous décidèrent de s'aider pour reconstruire et espérer reprendre le large. Aisling aida du mieux qu'elle pu et cousu les nouvelles voiles, tressa les cordages. Elle découvrit les métiers manuels et les techniques traditionnelles qu'elle n'avait jamais pu expérimenter auparavant. Clotaire était heureux car elle travaillait à ses côtés et elle portait leur enfant. Il se souciait toujours de savoir si elle n'était pas fatiguée et si elle était bien installée, mais elle ne se plaignait jamais et avait à cœur d'aider. Elle avait mal au dos mais elle aussi était heureuse.

Elle perdit les eaux le vendredi 8 mai et accoucha le samedi 9 aux premières heures de l'aube dans la maison de miss Edwige, dont nous parlions tout à l'heure. Il nous faut parler un peu de miss Edwige car elle est une femme d'une grande bonté et si elle n'était pas là, il n'y aurait personne pour aider les femmes à accoucher. Elle avait un grand savoir qui forçait le respect et l'admiration, était de ces maîtresses de maison qui laissent chaque pièce impeccable et s'extasient devant la beauté des enfants. Elle n'en n'avait jamais eu et ne s'était jamais mariée, s'estimait heureuse ainsi car en réalité, des enfants, elle en avait plein.

L'accouchement fut pénible mais Aisling surmonta cette épreuve en broyant la main de Clotaire. Quand ils virent leur fils, ils sourient et dirent ensemble : « C'est notre fils. ». Ils avaient ensuite prié et choisi de prénommer leur enfant Garlic, en raison de la façon dont il avait de se recroqueviller, lui donnant la forme d'un ail.

Aisling accoucha d'un second garçon deux années plus tard. Entre temps, elle avait continué de réussir brillamment ses études et avait élevé son fils avec beaucoup de joie et de patience, aux côtés de son amant. Clotaire, quant à lui, avait repris le large et baptisé son bateau au nom de sa fiancée, Aisling. Ainsi, elle voguait toujours avec lui. Ils avaient prévu de se marier l'an qui arrivait, quand Clotaire aurait atteint ses vingt et un ans. Ils vivaient déjà ensemble dans un petit cottage acheté trois fois rien, avec vue sur la mer, et un jardin. Un grand jardin. Ils y faisaient pousser des légumes de tous les horizons, tout en rénovant la bâtisse qui avait pris un sacré coût avec les tempêtes. Un petit sentier serpentait entre des ruches et des séquoias, menant à la cale d'où l'Aisling levait l'ancre chaque matin. Et la vie continuait.

Garlic grandi dans cette maison de campagne entouré de mouettes, d'un frère gentil, d'un père rieur et d'une mère aimante. Elle lui enseigna tout ce qu'elle savait et lui transmit toute sa foi. Il s'intéressait aussi à la magie des pierres et aux légendes celtiques, ce qui allait souvent à l'encontre de son éducation protestante. Parfois, il allait au temple et demandait à Dieu de faire un miracle juste là comme ça pour s'entraîner, et puis lui, Garlic, il pourrait savoir les techniques pour pratiquer chez lui. Son grand-père, pasteur du village, le grondait alors en lui disant que non, ce n'était pas comme ça qu'il fallait faire, que Dieu n'apparaissait pas comme ça et n'exhaussait pas les vœux d'un marmot audacieux qui remettait les paroles de sa mère en question. Après ces cris, Garlic s'enfuyait en s'énervant à son tour.

Son refuge était une cabane isolée dans un recoin de l'île, où du bric-à-brac, entassé, attendait qu'on le découvre. Elle était habituée par un druide exilé qui collectionnait tout un tas d'objets insolites : crânes de cervidés, papillons épinglés, pierres précieuses, empreintes de dinosaures, grimoires moisis... que le vieil homme qualifiait de "reliques". Il les gardait comme un dragon protège son trésor. De cet individu énigmatique, Garlic apprit beaucoup. L'art d eguérir par les plantes et de lire les lignes de la main. La magie des pierres et celle des livres. Il notait toutes ces connaissances dans un carnet, griffonnait des schémas de machines fantastiques (mais peu réalistes) qu'il se promettait de réaliser quand il serait plus grand.
Aisling voyait d'un mauvais oeil l'influence d'un tel enseignement et se bornait à lui expliquer qu'il n'y avait rien de plus vrai que la science, puisqu'elle avait été démontrée. il lui accordait que tout cela était vrai, mais les plantes, appliquées en emplâtres ou en cataplasmes, infusées, inhalées, avaient des effets positifs non négligeables. Les pierres guérissent l'âme autant que les prières, et il n'est pas incompatible de croire en ces deux dogmes.