i've learned that doves and ravens fly the same (olly)

La bruine s'abat sur la fenêtre à côté d'elle. Ça fait cinq fois au moins qu'elle lit la même ligne mais que l'intrigue ne tient plus. Dans la rue, la vie gronde, enfin. L'après-midi sonne, les âmes se perdent dans les rues et Mara observe, rêveuse, ces hommes et ces femmes qu'elle ne connait pas, qu'elle imagine, un peu. Il y a ceux qui se pressent, ceux qui flânent, ceux qui ne sont pas d'ici. Elle non plus n'est pas d'ici mais elle aime à croire qu'aujourd'hui, elle se fond un peu plus dans la foule. Et puis, il y a Olly qui a pris sa place derrière le comptoir de la boutique d'en face. Il n'était pas là quand elle est arrivée, lui octroyant quelques heures d'une quiétude certaine, loin des questions qui l'entourent, lui. Depuis qu'il est arrivé, elle a du mal à détacher ses yeux de son profil long qui s'affaire derrière les étals de bonbons. Des enfants passent la porte en riant. Ils en ressortent les mains pleines d'un petit sachet de trésors et elle les envie, Mara, elle les envie. Eux et leur innocence. Eux et leurs bonbons. Alors, elle range ses affaires et fini son café dans une urgence nouvelle, paye avec un sourire trop grand pour son visage, comme toujours, lance un au revoir au monde qui ne lui répond pas mais ce n'est pas grave, demain peut-être. Les quelques mètres qui la séparent de la boutique lui paraissent longs, les gens se bousculent soudain devant elle comme pour ne pas la laisser passer. Ce n'est qu'une image, mais c'est celle qui lui vient en tête. Et elle l'envoie valser, sa queue de cheval haute se balançant dans l'air. Quand elle passe la porte, la boutique est vide et Olly n'est plus là. Alors, son visage perd un peu de son sourire. Elle ne l'a pas rêvé, pourtant. Elle s'avance pour se pencher au-dessus du comptoir et il est là, vouté au sol à ranger quelque chose qu'elle ne voit pas. Et elle, allongé à moitié à côté de la caisse, retrouve son sourire. 'Sorry, I didn't mean to spy !' elle se redresse, enfin, et fouille dans ce sac un peu trop grand, un peu trop plein, qu'elle porte sur l'épaule. 'I have something for you.' non, elle ne dit pas bonjour, tout comme elle dit rarement au revoir, parce que leur discussion est continue et qu'elle refuse, un peu, qu'elle s'arrête. 'Here, it's the movie I was telling you about. I origins. The one about the eyes and the patterns in them.' elle lui tend une petite clé usb pleine de promesses et lui offre ses yeux, à elle. 'If you have time, of course. But you should take it, it's a really beautiful film.' et quand il s'en saisit, Mara en profite pour se hisser sur le comptoir, regardant la boutique sous son angle à lui. 'How are you today ?' la voix est légère et douce, ses jambes battent dans l'air et même si elle donne l'impression d'être un peu ailleurs, quand son regard croise celui d'Olly, tout y est. Son intérêt, son attention, son sourire, aussi. Tout.

Après avoir emballé un gros sachet de réglisse, Olly laisse son esprit vagabonder au dehors, à travers les vitres décorées de la boutique, en quête de distraction, en quête de la seule personne qui habite ses rêveries - Mara. C'était un miracle qu'Olly ait croisé son doux regard, il y a quelques mois. Elle était arrivée dans sa vie comme une bouée de sauvetage, il avait enfin sorti les poumons des abysses, respirait à nouveau et redécouvrait les simples plaisirs d'une nouvelle rencontre. Mara ne savait rien de son passé, ou si elle entendait des bruits, elle ne montrait aucun mépris pour le jeune homme. Leurs regards s'étaient cherchés à travers les fenêtres, et avec le temps ils se connaissaient et se reconnaissaient, presque tous les jours, lui derrière le comptoir en bois, elle devant une tasse chaude, et toujours un livre à la main. Il sourit en voyant qu'elle est là aujourd'hui encore, à son arrivée pour ses heures de l'après-midi. Mrs Megsie, la vieille patronne, lui laisse la place derrière la caisse enregistreuse et se dirige à petits pas dans l'arrière-boutique pour sa tasse de thé habituelle, tout en racontant une blague à son défunt mari à qui elle continue de faire la causette. Elle laisse échapper un rire d'oiseau lorsque Olly se rend compte qu'elle a emporté les rouleaux d'étiquettes pour les sacs de bonbons, collés à sa veste. Il lui retire sans qu'elle s'en aperçoive et se met à genoux pour ramasser celles qui se sont perdues en chemin, le visage plaqué au sol pour en trouver sous les meubles. Il reconnaît immédiatement la voix qui descend vers lui pendant qu'il fourre tout dans le grand meuble d'apothicaire et se redresse trop vite, se cognant le crâne sur un tiroir du haut encore ouvert. Heureusement elle n'a rien vu, Mara. Il se frotte discrètement le front en serrant les dents avant de lui sourire doucement, incapable de dissimuler mieux que ça la petite joie qu'elle apporte dans sa journée. Il n'a pas le temps de la saluer, comme bien souvent, qu'elle lui tend un petit objet en le regardant sérieusement. - Oh, you shouldn't have, il dit d'une voix moqueuse. Il n'hésite pas à récupérer la clé usb, en prenant soin d'à peine frôler la main de la jeune femme. Il s'interdit depuis le premier regard d'approcher Mara davantage, alors qu'il ne peut pas empêcher sa poitrine de s'emballer quand elle est là. Avec une autre femme, il aurait laissé son charme agir sans y penser à deux fois. Mais Mara n'était pas les autres. - Thanks, it sounds great. I'll watch it a.s.a.p. and report to you right after, Madam. Il préférait plaisanter, un peu timidement, pour freiner son envie d'être plus avenant avec elle. Il en brûlait, en mourait, de cette envie qui lui ronge le corps, alors qu'elle s'assoit sur le comptoir et qu'il la surplombe toujours. Elle est assez proche pour qu'il puisse sentir son parfum léger, mais il n'avait pas le droit d'en profiter. Il n'avait pas le droit de la laisser le voir de trop près - elle pourrait prendre peur de ce qu'il portait sur ses épaules, et disparaître à jamais. Et puis il y avait cet homme, à ses côtés. Il s'était résigné à croire que celui à qui elle tenait la main dans la rue lui offrirait bien plus que lui. - Not too bad. And you? Olly attrape un nouveau sachet en papier kraft et le remplit de berlingots de toutes les couleurs. - What have you been reading lately? Il baisse les yeux pour éviter les siens. Pour éviter de se laisser s'y perdre trop longtemps.

La boutique a ce côté vieilli qui lui confère une atmosphère si particulière. Ici, le temps s'est arrêté, un peu. Les meubles en bois sentent le sucre, le sol porte les marques des mille pas qui l'ont foulé, les bocaux en verre portent encore, pour certains, de vieilles étiquettes jaunis par le temps où une écriture manuscrite laisse lire licorice et autres délices. La chaleur qui s'en dégage la transporte, tout le temps. Et puis, il y a Olly. Olly et ses grands yeux. Olly et ses silences, ses sourires, ses soupires. Olly et ses airs qui se cachent pour mieux voir. Olly et la marque d'une histoire qui lui importe peu. Il y a quelque chose de magnétique dans le mystère de sa personne. Et pour une fois, Mara n'a pas vraiment envie de poser les questions. Comme si elle savait, presque d'avance, que les réponses ne suffiraient pas. Que les réponses n'ont pas toujours raison. Alors, elle ne les pose pas, et ils s'en portent mieux. Ils s'en portent mieux. 'Don't laugh ! I know I've already told you too much and you pretty much know how it end but still. Is that a reason not to enjoy it ?' elle est de ces naïves qui lisent et relisent, regarde mille fois, écoute toujours, s'émerveillent à jamais des œuvres qui la touchent. Et tant pis si elle connait la fin des œuvres de Shakespeare, elle continuera à trépigner devant chacune de ses pièces. Parce que la beauté la prend toujours différemment. Sa main se détend lorsqu'il en prend la clé et Mara la ramène à elle, vient resserrer la queue de cheval qui surplombe son crâne. La pluie fine s'est déposée sur ses cheveux et elle sent l'humidité sous ses doigts ; c'est rafraichissant, dans la chaleur de la boutique. 'You sound like one of the kids at school. Did you know it's easier to put a marble in your nose than to take it out ? Learned that from Jimmy Davenport the other day.' son sourire est large maintenant, ses yeux cherchent sur le comptoir quelque chose à se mettre sous la dent mais elle résiste, Mara, elle résiste toujours quand elle est là. Alors elle l'écoute, attentive, et relève ses grands yeux sur lui et ses raccourcis. Elle les accepte. Ils font partie d'Olly. 'Not to bad either !' elle est plus enjouée que lui mais ne s'étendra pas non plus. Elle ne peut pas. Partir dans les détails reviendrait à nourrir le mensonge et elle déteste déjà avoir à vivre avec. Alors, à son tour de rester évasive. Et à lui de faire avec. Quand il lui parle de ses lectures, elle avale l'air un peu trop vite, un peu trop fort, et ça fait mal quand ça se bloque dans sa poitrine mais elle s'en fiche ; il faut qu'elle lui montre. Elle fouille, encore, toujours, ce grand sac aux mille trésors, pour en sortir un vieux livre corné de partout. 'The tragic innocents. It was one of my dad's favorites. Mine too now, I guess.' sa main passe sur la couverture avec une nostalgie certaine de cet homme qui n'est plus. Elle porte le livre à son nez, hume le parfum des pages qu'elle tourne et elle est là, de nouveau, dans le salon de leur petite maison du fin fond de l'Angleterre, et tout va bien. Tout va bien.