Invité Invité  | | |
|
L’air salin filtrait à travers le filet de volley-ball abandonné par les vacanciers ainsi que les vieilles tables de pique-nique, certaines encore vierges, d’autres souillées de mille et un dessins vulgaires. À intervalles irréguliers, une voiture roulait à vive allure sur le béton craquelé qui serpentait là où il le voulait bien, comme tracé par une main divine et invisible. Non loin de là, la mer, toujours la mer, sourde et imprenable. Et la plage, déserte à cette heure de la journée si ce n’était de la silhouette qui se mouvait d’un pas triste en direction du centre-ville.
Il aurait certes pu emprunter un chemin plus direct, donc plus rapide, pour retourner à l’auberge où il avait fixé ses pénates près d’une semaine plus tôt, mais à quoi bon s’empresser de retourner dans la minuscule chambre qu’il louait pour une durée indéterminée? Personne ne l’y attendait. Personne ne l’attendait nulle part, à vrai dire. Son frère et ses sœurs ne l’avaient pas accueilli à bras ouverts sur l’île qui les avait vu grandir, tous les quatre. Comment en aurait-il pu être autrement? Vingt ans de silence, ça ne se pardonnait pas en un claquement de doigts. Ce ne pouvait pas être aussi simple que dans les bouquins dont il se fatiguait les mirettes à lire et analyser. Bien sûr que non.
Le regard tourné vers les vagues qui sans répit venaient s’échouer à ses pieds, l’homme soupira. L’envie de s’abandonner aux bras de Poséidon lui effleura l’esprit; il en tressaillit malgré lui. Il ne pouvait décemment pas commettre l’irréparable, ici, là, maintenant. Ce serait pure folie. À ce moment, un timide rayon de soleil perça l’épaisse couverture de nuages au-dessus de sa tête et l’aveugla, comme pour le divertir de ses sombres pensées. Grimaçant, il plissa les yeux jusqu’à apercevoir çà et là des spectres de couleur valser dans un chaos soigné. Lorsqu’enfin, il tourna la tête et rouvrit les yeux, il réalisa qu’il n’était plus seul dans les environs. Sur le trottoir bordant la route, un jeune homme s’efforçait tant bien que mal de traîner dans son sillage un meuble aux contours flous, de là où il se trouvait.
Le murmure de la mer dans son dos, il l’observa un moment avant de prendre pitié de lui et venir à son aide. Non pas qu’il fût doté d’une force herculéenne, loin s’en fallait. Mais le garçon ne refuserait certainement pas un coup de main. Son but fixé en tête, Enoch s’avança vers lui avec un sourire bienveillant. « Bonjour, mon garçon, est-ce que tu as besoin d’aide? » Rien d’étonnant au ton familier employé par Enoch; sur cette île, tout le monde se connaissait de près ou de loin et l’altruisme faisait partie du quotidien des Guernesiais. Pour y avoir vécu une bonne partie de sa vie, Enoch le savait bien.
|
|
