(un)happy to see you

véritable rituel du vendredi midi, louise franchit la porte de la brasserie, souriant à un ou deux visages amicaux au passage. après un bref signe de la main, elle se dirigea à une table située à l'extrémité d'une fenêtre et, comme à son habitude, posa délicatement sur le rebord d'une chaise son manteau beige et son écharpe grise. depuis une bonne dizaine de mois, elle avait maintenant l'habitude de venir ici pour terminer sa semaine. petit établissement rustique en centre-ville, à la sortie d'une ruelle, ce dernier faisait office de restaurant et de pub. situé non loin de la galerie d'art où travaillait louise, il lui était facile de venir ici en empruntant la petite ruelle, qui était aujourd'hui parsemée d'une fine couche de pluie fraîche de ce matin. généralement, c'est à ce moment de la semaine qu'elle s'accordait un moment pour se retrouver seule, aujourd'hui plus que jamais : journée difficile au boulot, des soucis d'investissements, des retards de rendez-vous... quitte à terminer la semaine sur une mauvaise note, autant prendre des forces pour mieux affronter ce qui l'attends en revenant tout à l'heure, n'est-ce pas ? elle en avait vu d'autres. elle s'en sortira, comme d'habitude. une serveuse vint à sa rencontre, lui apportant un verre d'eau pétillante pour la faire patienter de sa commande, comme à son habitude. l'avantage pour la petite blondinette de toujours fréquenter les mêmes endroits, c'est de ne pas avoir à subir la tentative de communication. au moins, ici, on en avait l'habitude, de ses grands signes de bras et de son sourire communicatif. ce n'est que lors d'un bref coup d'œil vers l'intérieur du restaurant que son regard s'attarda sur un autre visage familier, mais qui cette fois n'avait rien à voir avec ceux du lieu où elle se trouvait... un visage qui l'avait charmée, et avait même hanté plusieurs de ses nuits il y a de cela quelques semaines : rosalia, la belle brune, sa dernière aventure. probablement la plus belle que louise n'ait jamais connue. avec un sourire, c'est d'un pas confiant qu'elle se dirigea vers elle, sans se soucier du fait qu'elle pourrait être sur le point de retrouver quelqu'un ou non. attrapant ses affaires sous le bras et son verre d'eau pétillante avec sa main de libre, elle s'approcha du champ visuel de la jeune femme. elle la salua vivement après avoir posé tout son bazar, et attrapa son téléphone, rédigeant rapidement son message pour lui mettre sous les yeux. coucou. comment tu vas ? louise se trouva presque étonnée d'être heureuse de la revoir. elle ne s'attendait pas à cette rencontre, et pourtant, sa journée s'annonçait déjà meilleure à l'idée de déjeuner avec une... amie ? connaissance ? difficile à dire, mais ce n'était pas la question qu'elle avait en tête pour le moment.

@rosalia de luca

La même grimace, gravée sur la gueule. Cet air dégoûté par les cadavres, gisant devant elle. Rosa, elle fermait les paupières, peinant à cacher ces nausées qui lui montaient, alors qu’un autre vendeur s’occupait d’enjoliver le stand des poissons, pour le rendre plus attrayant. Le dégoût, pur et dur, ressenti, face au décor, aux odeurs, imprégnant ses pauvres vêtements et cheveux, à la fin de la journée. Difficile de prétendre lorsque l’on puait la poiscaille, nuit et jour, Rosa, pourtant, elle continuait, la gamine, à s’enfoncer dans le déni, jusqu’à ne plus pouvoir en ressortir. La plongée, sans jamais revoir sa belle gueule, s’extirper de l’eau, des fonds marins. Sirène déchue. Exclue du sublime royaume marin, pour pourrir au sein des mortels, où les poissons imprégnaient son épiderme, brûlé par le soleil. Rosa, elle restait naturellement en arrière, le temps que les premiers clients s’approchent. Les courageux, venus affronter l’odeur de la marée, à sept heures du matin. L’heure des braves, des travailleurs investis ou subissant leur vie : Rosa, elle s’était fracassée dans cette seconde case, option, dans laquelle elle pourrissait. Elle, l’étoile éteinte, qui ne s’assumait pas, jamais. Quelle erreur fut sa chute. Quelle déception fut cette vie. Une existence dont elle haïssait tout, même si elle bénissait, de temps à autre, sa belle apparence. Les traits fins et le charisme, sans quoi elle ne serait plus rien. Misérable. Laide et ratée : c’en était une vision cauchemardesque à ses yeux bruns, alors que ses doigts, gantés de plastique désolant, irritant, attrapait les quelques crevettes demandées par une dame âgée. Inutile de dissimuler son dégoût, lorsqu’un peu d’eau éclaboussait son minois, lâchant le sac contenant les poissons, sur le goudron collant, humide. « Excusez-moi. » Qu’elle murmurait en ramassant le pochon contaminé et en mettant du sien pour s’y remettre, alors qu’elle n’en avait pas envie. Et les erreurs étaient si nombreuses, au quotidien : jusqu’à quand serait-elle embauchée ? Rien n’était sûr, tellement était-elle désolante, Rosalia. Essuyant d’un mouchoir de soie sa joue souillée, tentant de reprendre une apparence convenable, à l’abri des quelques regards désespérés. C’était, lorsque la poupée relevait les prunelles, qu’elle se confrontait au visage innocent et incandescent de la petite blonde de la veille. L’estomac se serrait, la frimousse se fermait. Mur de prison. Se parant de son plus beau masque d’illusion, recouvrant ses paroles de mensonges. « T’es qui ? » La voix froide, glaciale, méchante s’extirpait de ses pulpes désirables. Lorsque la veille, Rosalia dépoussiérait son langage des signes, en se livrant à une nuit de désir, le soleil s’était levé, gommant l’horizon, ce doux instant entre parenthèses passé à ses côtés. Toujours dans le déni, Rosa.

ses grands yeux noirs observant les merveilleux traits de la belle brune, le sourire de louise s'évanouit à la vue de son accueil. elle venait d'encrer dans sa tête une idée totalement différente de leurs retrouvailles, qu'elle en resta elle-même silencieuse pendant de courtes secondes. elle aurait voulu avoir l'air moins déconcertée, mais son désagréable défaut de laisser paraître la moindre de ses émotions sur son visage trahissait son étonnement. réalisant le silence gênant qu'elle était en train de provoquer, ses doigts tapèrent machinalement sur son portable, avant de le pointer vivement sous les yeux de rosalia. c'est moi, louise. tu ne me reconnais pas ? question rhétorique. bien sûr qu'elle la reconnaissait. à quoi jouait-elle ? louise avait un bien meilleur souvenir de leur rencontre, après tout... pire encore, elle ne datait pas de si longtemps au point qu'elle n'oublie son visage - car louise, elle, était loin de l'oublier. étais-ce si mauvais que ça ...? ou alors, peut-être que le problème venait d'ailleurs : louise avait déjà été confrontée à la peur d'être reconnue, l'angoisse des regards indiscrets et le poids des regards. non, se dit-elle. rosalia devait sûrement se moquer d'elle, c'était l'explication la plus rationnelle qui lui venait à l'esprit. ce n'était qu'une question de temps avant que la jeune femme ne revoit l'exotique qui avait chamboulée sa nuit.

Rosalia, elle aurait pu hurler et serrer les poings, pour cogner cette vision d’horreur qui venait de surgir face à sa gueule. Ses carences n’étaient pas connues ni même soupçonnées. Celles qui se manifestaient et qui semblaient être des traits de caractère détestables, aux yeux du monde. Les poissons devant elle, ses prunelles mitraillaient et réduisaient en poussière la gamine solaire, à la tignasse couleur de blé. Bien évidemment qu’elle s’en souvenait, de ce jolie cœur, ayant piqué son cœur de part sa candeur, sa joie de vivre. Rosa, elle était typiquement son opposé : la face lunaire, obscure, parsemée de plaies et de meurtrissures. La belle s’effondrait à chaque pas, même si elle ne disait jamais rien sur ses malheurs. Le cœur fermé à l’image d’un cadenas, retenant les chimères de se dévoiler, de ravager l’univers, de part l’intensité de son chagrin. Elle ne s’assumait pas, Rosalia, ce qui expliquait le déni total auquel Louise se confrontait. Les doigts et mains parlants ne s’exprimaient plus, comme jusqu’à tard dans la nuit. Louise faisait face à une prison, un mur de glace. Elle n’assumait pas de faiblir face aux femmes, préférant se croire hétérosexuelle aux nombreuses conquêtes, alors qu’il n’y en était rien. L’épiderme très peu effleuré, Rosalia, elle passait sous sourdine ses relations, préférant se montrer indépendante et fière, avec son tempérament exécrable, si haïssable que l’on prenait plaisir à la détester, la gamine. Celle au sourcil arqué et à l’expression méprisable, qui ne faisait pas trainer plus longtemps ses prunelles sur le visage ensoleillé de Louise. « T’es qui putain ? » Et elle haussait le ton, parce qu’elle avait tellement honte, qu’elle jouait la carte de la colère, de l’incompréhension. De l’humiliation. Mais, Rosa, elle n’oubliait pas, les frissons, les caresses et les soupirs, un moment entre parenthèses autre que les joints et l’herbe. « Tu me fais flipper, espèce de folle. » Qu’elle ajoutait en reculant, suffisamment pour se frayer un chemin hors du stand, pour s’éloigner, s’extirper de cette vision d’enfer, des regards interrogateurs posés sur elle.

(un)happy to see you — ft. rosalia de luca

l'incompréhension se lisait désormais dans les grands yeux noirs de la jeune blonde. la perte de contrôle, voilà une chose qui l'effrayait le plus. et contre toute attente, louise avait finit par perdre malgré elle le contrôle de ce fichu lien qu'elles s'étaient créées... mais il était hors de question de se laisser abattre. hors de question non plus de se laisser paraître trop émotive, ou montrer un semblant de tristesse. car oui, ce genre de déception avait l'habitude de rendre louise malheureuse... et colérique. ses yeux continuèrent de fixer la belle rosalia, qui continuait de l'ignorer, alors qu'elle s'en allait en cinglant ses dernières paroles. pas besoin d'entendre ce qu'elle lui cracha au visage pour sentir un pincement au cœur. soudain prise d'un excès de colère, louise repris sa veste dans ses bras, ignorant totalement son verre posé à côté d'elle, avant de se lancer à la poursuite de la brune. à ce stade, elle n'avait même plus envie d'insister, et c'est probablement pourquoi elle rangea son téléphone dans la poche de son pantalon machinalement. une fois rattrapée, louise tira son épaule et se mis en travers de son chemin. ses sourcils étaient froncés, et ses lèvres serrées. ses mains s'agitèrent vivement, signant de gauche à droite, de bas en haut. d'accord, je comprends vraiment pas pourquoi tu joues à ça, mais je n'apprécie pas qu'on me parle de la sorte ! après avoir fini, louise enfila son manteau. elle voulait partir, quitter cet endroit et passer à autre chose le plus vite possible. ne compte pas sur moi pour revenir te parler ! et sur ce, elle tourna les talons. réagir comme ça était bête ; rosalia n'avait probablement pas compris un traitre mot de ce qu'elle venait de lui communiquer. elle y repensera plus tard ce soir avec plus de recul : rosalia devait être du genre à ignorer ses conquêtes, préférant garder ça sous silence. elle qui semblait si sûre d'elle, louise n'envisageait pas une seconde un manque d'assurance de sa part... en y réfléchissant, c'était même bête de lui en vouloir. louise remarqua que ses bras s'agitant dans tout les sens avaient attirés des regards, mais elle n'en avait plus rien à faire. tant pis pour le restaurant, ces retrouvailles lui avaient coupée l'appétit... finalement, la semaine n'allait peut-être pas se finir aussi bien qu'elle le comptait.

Rosalia, elle n’assumait pas. Elle préférait mentir, rabaisser et mal parler, plutôt que de se confronter au reflet brisé du miroir. L’ombre rôdait autour d’elle, imbibait la moindre émanation d’âme, pour ne laisser que des cendres, des débris et du mauvais alentour. Rosa, elle n’était qu’une chimère, voguant sur la terre, en essayant de trouver la sortie de son malheur. Face à Louise, elle faisait tout ce qu’il y avait plus de détestable, Rosalia, la méprisant et parlant fort, afin d’attirer les regards sur elle, qu’elle ressente de la honte et de la gêne. Rosa, démon incarné sur cette île aux allures paisibles, ramenant toute une horde de maléfiques à ses côtés. Le tout aurait pu être digne d’un film, mais la vérité était si moche, que les petits anges rougissaient, en découvrant le sinistre de son existence. Jamais assumée, toujours camouflée derrière des fausses paroles et des expressions dédaigneuses, à la dégommer du regard, Louise, pourvu qu’elle se tire sans faire une scène, avec ses mains s’agitant dans l’air. Elle comprenait tout ce qu’elle lui disait, la blonde, en la rattrapant, la vendeuse de poisson prenant la fuite. Rosa, elle fulminait, la regardait en serrant la mâchoire, se retenant de trop s’emporter, pour ne pas plus se donner en spectacle, mais ce fut la goûte de trop. Lorsque Louise lui tournait le dos, Rosalia se baissait, attrapant un poisson invendu d’une taille moyenne et lui balançait dessus, de manière à la provoquer, la faire sortir de sa zone de confort. Et surtout pour la brusquer, Louise, parce que l’on ignorait l’aspect enfantin de Rosalia, lorsque la honte se mêlait à la colère. Jamais rationnelle, la gamine paumée.

ce qu'elle sentit, louise, après avoir fait ne serait-ce que deux pas lourds dans la direction opposée, provoqua en elle comme un choc qui fit sursauter la totalité de son corps, de la tête au pied. elle en lâcha même son manteau agrippé sous le coude, qui s'affala à ses pieds. si elle avait pu crier, elle aurait probablement poussé un cri aigu de surprise et de terreur. le choc la stoppa net, constatant avec horreur un poisson étalé à ses pieds, qui venait de heurter le haut de son dos et de sa nuque. la jeune femme se retourna, observant rosalia. elle la fusilla de ses grands yeux noirs. jamais personne ne lui avait tenu tête de la sorte... et encore moins jeté un animal mort au visage. louise se baissa vivement pour ramasser son manteau, serrant le tissu de toute ses forces. devait-elle rajouter quelque chose, au risque de signer dans le vent et d'agiter ses mains bêtement ? non. du calme, se dit-elle. elle lui adressa un dernier regard noir relativement expressif, qui apportait la définition même de la formule "je ne dis rien, mais je n'en pense pas moins". louise se retourna, cette fois pour de bon, et repris sa marche dynamique loin de cet endroit. aux regards des gens présents sur place, elle pouvait deviner le silence, et la surprise générale de ce qu'il venait de se passer. elle passa un bref coup de main dans ses cheveux, réalisant à quel point l'arrière de son crâne était poisseux. en définitif, elle avait raison : cette journée était définitivement pourrie.