I knew you were trouble when you walked in ft Mara

Une heure. Une heure qu’il subissait le flot de paroles continu de sa mère, sans sourciller. Ils n’avaient jamais été très proches, passé le stade de la couche-culotte et des enfantillages. Il n’était pas le prototype du fils à maman, loin de là. Et ça s’était décuplé avec les années : il suivait son père à la trace, quand bien même ce dernier l’élevait à la dure. Quand il était mort, il avait assurément laissé un vide derrière lui. Un vide que ni sa mère, ni sa sœur ne pouvaient combler. Il n’était pas ingrat en soi, juste… Peu proche de ces dernières, voilà tout. Il n’y avait pas de sombre histoire à raconter, d’événement plus tragique qu’un autre qui expliquerait aux simples d’esprit pourquoi cette alchimie n’existait pas entre lui et ses plus proches parents. Une simple question de caractère. D’intérêts divergents. D’incompréhensions accumulées. De distance. Alors il était là, assis sur son fauteuil, le regard perdu tandis que sa mère lui racontait tous les potins de la semaine. Qu’en avait-il à faire, de ce connard d’Alan qui trompait sa femme avec la voisine à l’arrière de sa camionnette ? Ou encore de la mère Connors qui faisait des pieds et des mains à la mairie pour obtenir gain de cause quant à son litige à propos du voisin qui ne taille pas ses haies en bonne et due forme ? Il n’écoutait que d’une oreille distraite, déblatérant une banalité ou deux quand c’était nécessaire. Il s’apprêtait à se resservir une tasse de café lorsque le bruit d’une porte qui claque se fit entendre, suivit très rapidement par une démarche qui lui était à présent singulière. « Perfect timing.» Ou presque en réalité. Elle aurait pu arriver un peu plus tôt ! En voyant apparaître son visage, il se leva précipitamment, coupant l’herbe sous le pied à sa mère, et rejoignit Mara. Sans même prendre l’instant d’y réfléchir, il déposa ses lèvres sur les siennes. Procédure obligatoire dès qu’il était en présence de sa famille : sans quoi, ces commères invétérées se poseraient assurément des questions. Une main contre sa joue, il fit en sorte d’être le plus doux possible, avant de s’éloigner de quelques centimètres. Assez pour la laisser respirer, sans trop se détacher non plus. « I was just saying to my mom that we had to go get some… Stuff, for the week-end.» Regard appuyé, il fallait qu’elle marche dans la combine. Qu’ils puissent se débarrasser de la reine mère. Heureusement pour lui, sa génitrice devait avoir compris le message, puisqu’elle s’était déjà emparée de sa veste. « I hope to see you both soon !» Grand sourire à l’égard de Mara, reproche non dissimulé pour lui. Whatever. Sa main resta logée dans le creux des reins de celle qu’il faisait passer pour sa compagne jusqu’à ce que sa mère referme la porte d’entrée derrière elle. Enfin débarrassé. « Thank God you came. She can be such a pain in the ass.» Alors qu’il retrouvait enfin un semblant de sourire, Mara quant à elle ne semblait pas se dérider. Et… Curieusement, il avait l’impression que quelque chose n’allait pas. Etait-ce le fait qu’il l’ait embrassé, qui lui posait problème ? Ce n’était pas la première fois qu’ils agissaient ainsi devant un tiers, mais il l’avait peut-être prise au dépourvu. « What’s going on ?» Sourcils légèrement froncés, il souhaitait comprendre. Même si elle ne lui devait rien.

Elle l'a vu, marchant dans les rues de son havre de paix, et tout lui est revenu en vague. Les souvenirs, le regard de l'homme, la cagoule sur sa tête, l'arme dans sa poche. L'image, aussi, de ce visage souriant, celui du vigile qu'elle a trop souvent imaginé à terre, gisant dans son propre sang. L'angoisse l'a prise à la gorge et Mara a trébuché, là, contre le mur qui a fait illusion. Les larmes sont montées vite, trop vite, et elle n'a rien pu faire pour les retenir. Elle ne se souvient même plus de son nom ; quelque chose de court, qui claque dans l'air avec ses sourires détachés. La soirée lui revient, toutes ces choses qu'elle a pu dire en sa présence, à commencer par son nom. Theodora. Theo. C'est comme ça que Jenny, la brune plantureuse avec laquelle il a fini, n'arrêtait pas de l'appeler. Parce que c'était son nom, avant, celui que lui donnait le monde, celui que lui avait donné sa mère. Son père, lui, l'appelait Mara, comme un surnom affectueux à la douceur rassurante. Elle s'en est enveloppée ici, sur cette île de la deuxième chance où elle semble enfin trouver sa place. Et il vient tout gâcher. Le destin est particulier ; un an presque qu'ils sont arrivés ici. Les mois aidant, elle avait oublié la peur, Mara. Elle est revenue d'un coup. Celle qu'elle fait taire avec ses sourires légers. Celle qu'elle refuse de voir s'imposer. Mais elle est là, elle est là, et elle n'arrive pas à la faire s'en aller. Alors elle court, trop vite, trop maladroitement, attrape son vélo et laisse tomber quelques pommes sur son passage. C'est lui dont elle a besoin, maintenant ; Ren. Le seul qui sache. Le seul à qui elle puisse parler. La maison n'est jamais loin mais les coups de pédales deviennent difficiles alors que ses muscles se raidissent dans le froid. Elle en oublie le sac de kraft qui trône dans le panier, rentre un peu trop vite dans cette maison. Son manteau est là ; elle ne fait même pas attention à celui de sa mère juste à côté. 'Ren, I need to...' les yeux se braquent sur elle et l'arrêtent nette dans sa procession. L'homme se lève pour la rejoindre, voir son visage s'approcher du sien n'a toujours rien de naturel et elle accepte ses lèvres dans une sorte d'état second. C'est sa main, posé dans son dos, qui la réveille. 'Hi, I didn't know you were coming.' on sent le trouble dans sa voix ; parce qu'elles se connaissent finalement peu, ces deux femmes, et que le moment n'est pas choisi pour se lancer dans une grande discussion. En d'autres circonstances, Mara aurait apprécié. Pas aujourd'hui. Ren cherche son regard du sien et il le trouve ; elle ne comprend pas bien mais sait qu'elle doit suivre le mouvement, alors d'accord. 'Sure, we do need shampoo.' c'est la première chose qui lui est venue en tête ; et ce n'est même pas un mensonge. Mara sourit à la mère de Warren lorsque celle-ci s'éclipse, c'est un peu mécanique mais sincèrement désolé. Quand la porte se referme, elle n'arrive pas à rester en place. Un pas, puis deux, puis dix, tous les coins du salon lui semblant bons à fouler. 'There's a guy, here, I saw him.' elle cherche encore son nom mais les lettres buttent et rien ne sort. 'I don't know what he knows, but he knows stuff, like my name or that I like martinis or that I did a flower crown for Jenny that summer.' les paroles sont rapides et les pas lourds. 'He knew me, Ren. He knew Theo. And I don't know...' une main leste dans ses cheveux et finalement, elle s'arrête. Elle s'arrête parce qu'elle réalise. À cause de lui, elle pourrait tout perdre. 'But maybe, maybe he doesn't remember ? Maybe it's fine ?' elle a besoin de s'en convaincre alors elle pose son regard rempli d'espoir sur lui et revient, finalement, se poser juste en face. Qu'il comprenne. La peur a un nom. Et elle ne s'en souvient même pas.

Elle arrive à point nommé, Mara. Elle s’en est sans doute rendu compte, lors de ces derniers mois : il n’est pas vraiment proche de sa famille. Pas parce que son caractère peut être taciturne - bien que ça n’aide pas forcément - mais parce que ce fameux lien sensé être infaillible et plus fort que tout le reste ne s’est jamais vraiment créé. Sa mère l’a enfanté, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle connaît l’âme derrière le bonhomme. Un seul exemple : la raison de son départ. Cette conversation n’a jamais eu lieu. Pas faute pour elle d’avoir essayé, d’avoir entendu quelques rumeurs courir ci et là. Mais pas un traitre mot n’est sorti de la bouche de Ren lui-même. Ni à l’époque, ni maintenant qu’il foule à nouveau le sol de l’île. « That’s because it wasn’t planned.» Un brin cassant, il dû se mordre la lèvre inférieure pour ne pas enfoncer le couteau dans la plaie et bien faire comprendre à sa mère qu’il valait mieux prévenir, la prochaine fois. Mais comme à son habitude, elle ne releva pas. Elle s’en était fait une raison, de ce fils bougon et, il faut bien le dire, trop distant. « Next time, I’ll text you !» Et le plus drôle, c’est qu’elle ne s’adressait pas à celui qui en faisait plus ou moins la requête, mais à la jeune femme qui l’accompagnait. Une délicieuse créature qu’elle appréciait déjà, et que son fils avait eu la chance de parvenir à séduire. Se contentant sans mal de l’excuse du shampoing, elle s’éclipse et laisse alors les tourtereaux seuls. S’il est encore focalisé sur la visite impromptue de sa mère, Warren est rapidement déboussolé par l’attitude de Mara. Elle d’ordinaire si… Rayonnante, semble en proie à des démons qu’il ne parvient pas à identifier. Jusqu’à ce qu’elle veuille bien cesser de faire les cent pas dans le salon et lui expliquer ce qui la tourmente. Si les premières paroles échappées sont un peu floues, le puzzle se reconstitue doucement et Ren comprend. Ren comprend que la situation est périlleuse, mais il refuse de laisser cet élément perturbateur tout foutre en l’air et gâcher plusieurs mois de travail pour s’assurer que la couverture de Mara serait parfaite. « Calm down, Mara.» Doux, il pose ses mains sur ses épaules, plonge son regard dans le sien. « Okay, someone knows the « old you ». But you didn’t speak to him, did you ? » Si elle n’était pas en mesure de déterminer ce qu’il savait ou non, c’est qu’elle n’avait pas eu l’opportunité d’engager une conversation profonde avec lui. « So it’s pretty simple : whatever he says, you deny every single thing.» Simple sur papier. Il comprenait que ce soit déroutant, qu’elle ait peur que cette information éveille les soupçons, ébranle leur plan bien ficelé et finisse par leur faire courir à tous les deux un grave danger. Mais son expérience professionnelle lui criait de ne surtout pas paniquer, de s’en tenir aux instructions reçues quoi qu’il arrive. « From what I’ve already seen, if you keep saying that he must be wrong, that you’re not the woman he claims to know… He’ll not insist much. Because if he does, he’ll either be seen as a complete idiot, or as a creep stalker who can’t mind his own business.» Tant qu’elle parvenait à cacher son émoi, il n’y avait pas de raison pour que cela dérape. C’était inconfortable, oui, mais pas insurmontable. « Look… Who is gonna think you’re hiding ? It’s the kind of things people only see in movies.» Et bien que basées sur des faits réels - ils en étaient la preuve même - les chances étaient maigres pour que qui que ce soit les démasque. Au risque de paraître trop sûr de lui, Warren ne s’inquiétait pas outre mesure. « We are in this together. And I promise you that if I am wrong, if this turns out to be a disaster… I’ll be there to protect you and find a solution.» Il fallait qu’elle lui fasse confiance. Il ne prendrait aucun risque avec sa vie et saurait admettre à temps avoir manqué de jugeote si cela tournait mal. Rien ne les empêchait de partir en urgence à l’autre bout du monde s’il le fallait. « But right now ? There is nothing to worry about.»

Il y a un monde entre ce que Mara a connu et ce que Ren vit. Il ne se rend pas compte de la chance qu'il a, certainement, d'avoir cette mère qui essaye. Sa propre mère a abandonné le navire avant même que l'eau ne monte ; et son père, son père est parti bien trop vite. Elle aurait aimé pouvoir l'appeler, lui raconter cette île, l'entendre parler du ciel et des livres. Aujourd'hui, il n'y a plus personne qui se soucie de Mara, plus personne qui s'impose, et dans un sens... c'est presque un peu douloureux, de constater le rejet du fils. Elle essaye de ne pas s'imposer dans cette relation parce que la situation est assez complexe comme ça et qu'elle n'est personne, elle, pour le Warren véritable. Ce soir, elle n'a pas grand-chose à faire pour se tenir à distance ; en temps normal, elle l'aurait incitée à rester, prendre un thé, quelque chose, mais ce soir tout est plus flou aux angles. Ce soir, Mara a peur. Les mains larges de l'homme se posent de part et d'autre de ses épaules frêles, contrôlent les tremblements que les nerfs lancent. Elle relève ses grands yeux verts sur son visage serein et, en une seconde, se demande comment il peut garder le contrôle quand elle part complètement en vrille. L'inspiration est grande, elle lui brûle la poitrine et compresse ses poumons ; mais il lui semble que son cœur s'apaise, juste un peu. 'Not today, no. I saw him and hide.' sa bouche se tord comme une enfant ; elle se revoit plonger derrière le mur et s'érafler l'épaule contre la pierre apparente dans une hâte maladive. Elle ne lui a pas parlé aujourd'hui ; mais avant, avant, elle en a trop dit. Ren enchaine et finalement elle se dégage de son emprise dans un grognement lasse, passe des mains trop vives sur ses traits qu'elle rougit, perdue dans un présent qu'elle n'a pas choisi. 'But some of it will make sense to people ; Manchester, the flower shop, I told people, why did I tell people ?' Elle s'en veut de ses confidences maladroites, n'aurait jamais pensé qu'elle ait à déjouer les possibles recroisements d'informations. Sa vie n'a rien d'un film, elle ne sait pas y faire dans ces situations ! 'I'm really not a good liar, Ren. It took me weeks to get almost confortable with what you guys gave me so this ?' elle se souvient de cette feuille glissée dans le dossier de police, celle qui relatait le début d'une relation fictive, celle qui lui dictait les lignes de sa nouvelle vie. Ses épaules s'abaissent, lourdes et tendues ; l'homme viendra éroder ses efforts en quelques phrases, elle le sait. Elle le sent. Le policier se veut rassurant et Mara se laisse tomber sur le canapé, dramatique et bruyante, comme l'adolescente en crise qu'elle a l'impression d'être. Il a sûrement raison. Bien sûr qu'il doit avoir raison. 'I don't want to leave.' qu'elle souffle finalement dans une sorte de confidence masquée. La jeune femme fixe ses doigts qu'elle triture pour éviter de croiser son regard, celui qui roule parce qu'il déteste cette île qu'elle ne peut s'empêcher d'aimer. 'I know it's all fake and all, but I feel like I... I don't know. I feel like I belong here. Mara is me.' c'est étrange mais elle ne s'est jamais sentie aussi elle-même que sur ces chemins tortueux, dans des allers balayées par la mer. Elle n'a pas envie de parcourir le monde, elle n'a plus envie de renter ; elle ne veut plus être Theodora, celle qui s'efface, celle qui ne trouve pas sa place. Et ce presque inconnu... il fait vaciller tout ce qu'elle s'évertue de construire ici depuis quelques mois. Ce qu'ils, construisent. Que Warren le veuille ou non.

**Contenu sponsorisé**