made some mistakes but I still couldn't learn (owen)

Les sentiments s'asphyxient dans l'air poreux du bar, dans le narcissisme des sourires et les mains baladeuses. Sofia vacille entre les silhouettes. L'ivresse est salvatrice, distille les terreurs qui l'empêchent de dormir. Au creux de ses côtes, l'amorce d'une vie qui n'est pas la sienne. L'angoisse d'une responsabilité qu'elle refuse. Elle laisse son rire éclater parmi les autres, se couvre d'un masque impeccable. Un sourire détendu, des yeux brillants, par-dessus un tas de confusion et de colère et de tout ce qu'elle ne veut pas nommer. Miss Valentine. On la présente en prodige – on s'offusque de son absence, on applaudit ses réussites. Mais elle n'a plus rien à offrir au monde, Sofia. L'inspiration n'est plus qu'un souvenir vague, laissé sur les trottoirs de Londres des années auparavant. Les toiles restent blanches ou noyées dans des mélanges ocres. Les tâches sur sa peau sont celles des nuits d'insomnies. Il n'y a rien qu'un acharnement vain et un épuisement infini. Et des erreurs terribles à nier dans l'alcool. Mais elle prétend – elle redresse l'échine et dissipe les inquiétudes. Jusqu'à ce qu'elle étouffe. Jusqu'à ce que la nausée reprenne. Jusqu'à ce qu'une silhouette lui rappelle la sienne. Jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus. Alors elle fuit, dans un sourire poli ; le fond d'alcool lui brûle le palais, fait flotter le monde autour. Mais pas assez. Jamais assez. L'air frais sur le trottoir lance un frisson violent sur sa nuque, filtre à travers les mailles d'un pull trop fin. Les pavés craquent sous le poids de la foule. Un groupe de jeunes traîne un peu plus loin. De l'autre côté, un couple s'enlace contre le mur. Sofia serre les paupières, pour reprendre constance dans un monde qui ne veut pas d'elle. Puis elle le voit. Owen. La démarche lente et l'échine courbée sous le poids de ses secrets. Sofia le rejoint de l'autre côté de la rue, le souffle court, le pas hésitant. Elle se souvient du contact de son épaule contre la sienne, du sommeil tendre et de ses traits doux au réveil. 'Hey there superstar.' Elle sourit. Le surnom s'écorche sur sa langue. Superstar. Sofia a les yeux brillants du trop d'alcool et l'envie violente de trouver le confort de ses bras. 'Are you going home ? Mind if I walk with you ?' Les mots s'évident sur le trottoir, trop rapides, trop nerveux ; pleins du manque absolu de lui. Juste de lui. Maybe if I still had you, things would be okay. I would be okay.

Il y a de ces journées qui se ressemblent, puis s'assemblent et c'est qu'il avait oublié, Owen, à quel point la routine est rassurante. Il se lève à l'aube - parce qu'avec granny, y a pas d'autre choix - il l'aide à faire le petit déjeuner, puis dans le jardin qu'elle s'efforce à tenir malgré tout. Malgré ses genoux qui font mal, malgré les intempéries. Elle n'abandonne pas, et ça le fascine plus que de raison. Il passe au marché à tous les deux jours et passe devant la fenêtre des Valentine en espérant y voir une chevelure familière. Elle est occupée et il ne pourrait oser la déranger - après tout, il était revenu comme ça, sans rien dire et Sofia n'avait plus de compte à lui rendre depuis longtemps. Rien n'empêche rien, il espère, qu'elle soit là ou qu'elle soit bien. Souvent les deux. Tous les jours se terminent de la même façon, d'une marche qui va de la maison au quais, puis l'inverse. Il va mieux, il a l'air mieux. Ces derniers mois lui auront au moins donné ça; il a pris du poids, de la couleur. Les mains flanquées dans ses poches, une cigarette toujours coincée entre les lèvres, Owen entend l'effervescence, mais ne s'y joint pas. Le tabac est consumé, la cigarette jetée, au même moment qu'il sent une présence derrière son dos dans une voix qui lui est trop familière et qui agite son palpitant. “Hey Sofia.” C'est doux, triste aussi, mais ça, c'est son regard naturel, maintenant. Owen lui offre un regard de biais, et le sourire de la jeune femme offre une copie sur son visage à lui, alors que ses iris retournent vers le sol; là où ils restent depuis son retour à la maison. “Come on.” Ils connaissent le chemin par coeur et la compagnie lui fait du bien. Parce que ça fait trop longtemps et que son parfum lui donne la vague impression que tout va bien. “Feel free to lean on me, tipsy.” Un léger coup de coude, un regard amusé et il remarque le vent qui passe dans ses cheveux, dans les siens aussi. Il aimerait retrouver cet état d'ivresse qui donnait un éclat à ses yeux et pourtant il s'en empêche. C'est trop facile de retomber dans les mauvais plis et c'est encore plus facile de dérailler pour de bon. Il ne survivrait pas une énième chute.

Leurs silhouettes s'alignent et le souffle s'apaise. Owen a la démarche bancale mais l'odeur familière. Des effluves de tabac et d'une tristesse sous-jacente qui ne le quitte pas – qui ne l'a jamais vraiment quitté. Sofia joint les mains sur ses bras. Du bout des cils, elle trace son profil, jusqu'au sol. Les iris s'arrêtent sur le bitume qui défile. 'Shut up.' Le rire est léger, doux, amer. Elle pourrait oublier. Un peu d'alcool et un peu de lui et elle pourrait oublier ; la présence entre ses côtes, le creux dans sa poitrine. Mais il n'est plus, et elle n'est pas, et ils ne seront jamais. Les restes d'eux sont calcifiés dans le bitume d'un trottoir de Londres. Il n'est plus à elle. Alors elle se redresse le long du mur, retient le souffle et son odeur avec. Le silence s'installe, se noie dans les bruits de la rue. 'You look better.' Elle le cogne doucement de son coude. Il a l'air mieux. Les traits moins durs et les iris plus douces. 'What have you been up to ? It's been a while.' Elle contourne la culpabilité avec trop d'adresse. C'est elle, qui le fuit. Elle, qui prend les détours et évite les silhouettes et les regards et les mots. C'est elle, elle, elle. La faute infinie, putride, battante dans son ventre. L'ivresse retombe et Sofia est triste, maintenant. Elle se débat dans une guerre permanente qui lui ravage la poitrine. Elle relève le menton, détaille son profil. Owen est beau sous les lumières faibles. En dépit de l'épuisement, en dépit des regrets, en dépit des souvenirs, il est toujours beau. 'When are you leaving again ?' Elle confond les jours et les réalités. Elle a rêvé mille fois de son départ – de son arrivée. Dans les insomnies distillées sur des semaines entières. 'We should do something, sometime.' Anything, anytime. Sofia se tord les doigts et ralentit. Elle ne veut pas rentrer. L'appartement est trop vide, et la maison trop grande. La solitude est partout, partout sauf ici. Partout, sauf avec lui. Et les mots la démangent. Les gestes, la démangent. I need you. I'm lonely and alone and I need you.