talk is overrated.

talk is overrated.
– Do you like the beer ? It’s … biscuity ? Biscuity. I don’t know. That’s the first word that pops in my mind, dit-il en secouant la tête une seconde, offrant son entière attention au liquide ambré qui flottait dans son verre. Feignait-il être gêné par la situation ? Peut-être. Pas totalement, pourtant. Il l’avait été, il l’était encore un peu, mais il était, à ce moment, étrangement rassuré. Zac avait retenu son souffle, après avoir placé la pointe de son pied contre celui de Gene. What if I am wrong and he isn’t really flirting with me ? What if this game we’re playing is actually a totally different kind of game ? Il s’était attendu à ce que Gene se lève et parte, peut-être après avoir enfoncé son poing refermé dans sa mâchoire, ou simplement avoir l’avoir insulté. Une partie de lui avait espéré cela. La suite aurait été plus facile, parce qu’à partir de ce moment, à partir du moment où il avait senti le pied de Ginzburg contre sa cheville, les règles du jeu lui étaient totalement étrangères. Il s’aventurait dans l’inconnu. Il sautait, pieds joints, ou plutôt pieds et mains liés, dans un océan d’inconnus. Peut-être flotterait-il à sa surface sans difficultés. Peut-être s’y noierait-il. Il n’en savait rien. Il ne savait plus rien.
– It’s more like … fresh-baked bread. Very … Belgiany, continua-t-il, expertisant les saveurs et le goût de la bière qu’il tenait entre ses mains, sans savoir réellement ce qu’il était en train de dire. Zac tentait, simplement, de se changer les idées. Le pied de Gene était encore sur sa cheville. Il provoquait en lui un cocktail d’émotions inédit. Il brouillait ses sens. Il le rendrait fou, certainement, si Gene ne le reposait pas bientôt au sol. Mais il s’insurgerait, silencieusement, intérieurement, si le garçon brisait ce contact. Zac était enlisé dans des contradictions. Peut-être était-ce la raison pour laquelle il restait assis, là, en face d’Eugene ? Il était désorienté, mais, étonnamment, il ne se sentait pas perdu pour autant. Il savait où il était, mais il ne savait pas où il allait. Il savait ce qu’il faisait, mais il n’avait aucune idée des conséquences que ses actes, que ses mots impliquaient.
– It’s incredibily dry though. But I do like the warm finish. You know, souffla-t-il. Zac souriait. Il était incapable de garder un visage impassible et de se concentrer sur l’étude improvisée qu’il menait. Il soupira, souriant davantage, posant son verre sur la table dans un geste un peu trop brusque.
Il se mit à rire. Sa prochaine réplique résonnait dans sa tête. Elle était prête. Elle était à l’eau de rose. You’re being mushy, Hwang . Il lança un regard furtif vers Gene, qui le dévisageait (le désirait-il autant que Zac le désirait ?). Les yeux de Ginzburg lui donna l’élan dont il avait besoin pour prononcer les mots qui mourraient d’envie de passer ses lèvres.
– And now, you, Eugene. What do you taste like ?
Lorsqu’il eut fini, il avança sa chaise vers la table et se pencha à nouveau vers le garçon. Le pied de Gene glissa et sa cheville était maintenant prisonnière des jambes de Zac.
– I mean. What do you taste ? The beer ? Is it … sparkling ? Is it ... full in mouth ?
Oh boy, pensa-t-il. Il ne connaissait pas les règles de ce nouveau jeu. Mais il s’amusait énormément.

C’était comme si les pensées de Zac étaient à mille lieux des siennes. Alors qu’il avait les yeux rivés sur lui, qu’il n’arrêtait pas de penser à la sensation de sa jambe contre la sienne et qu’il tentait de se concentrer, rien qu’une seconde, il avait bien l’impression que Zac, lui, suivait son propre cours de pensées. Et ce n’était pas pour lui déplaire, à Eugene. Il aimait les gens qui détonnaient, qui sortaient d’un cadre trop contraignant, qui ne suivait pas les règles de bienséance. Il aimait la nouveauté, la surprise, la spontanéité. A s’en méprendre, il avait bien vite compris qu’avec Zac, il n’aurait jamais à s’habituer à une routine. Que l’homme le surprendrait à chaque tournant, chaque instant, comme maintenant, analysant le goût d’une bière dont il n’avait strictement rien à faire, pas lorsque Zac Hwang monopolisait toute son attention. Le sourire qui perlait sur ses lèvres était d’un autre monde : divin, magnétique, surnaturel, féérique, délicieux (…) Il manquait d’adjectifs pour décrire la perfection de ce sourire. Il se demanda où il avait bien pu se trouver toute sa vie. Pourquoi le destin avait osé les séparer lorsque tous les signes portaient à croire qu’ils étaient faits pour s’entendre, pour envisager peut-être autre chose qu’une simple discussion. Pourquoi le destin avait été si cruel de le priver de la présence rayonnante du garçon ? Il n’en savait rien et la tête dans les nuages, l’alcoolémie aidant à le plonger dans une torpeur contemplatrice, il ne comprit pas tout de suite la réflexion de Zac. Son visage resta figé, quelques secondes, tout au plus et il dût pencher la tête pour tenter de comprendre là où il voulait en venir. «  I don’t know. » murmura-t-il, se mettant à rire avec entrain et nervosité. Comment pouvait-on poser ce genre de questions si innocemment ? Son ton léger contrastait grandement avec l’angoisse qui le prit à l’idée de le voir se rapprocher. Il n’était pas prêt. Si Zac s’apprêtait à l’embrasser, il n’y serait jamais prêt. Pour la simple et bonne raison qu’il savait qu’à l’instant même où il viendrait déposer ses lèvres contre lui, autant qu’il ne pouvait le convoiter, il ne pourrait plus faire marche arrière. I’m screwed. Let me take a breath. Il soupira doucement par ses narines, les lèvres pincées et il détailla Zac. Ne sachant quoi répondre sur l’instant, il mordilla sa lèvre. «  I think I need shots. Do you want shots ? We need shots.  » demanda-t-il, soudainement, s’appuyant sur la table pour se relever, relâchant l’emprise de son pied contre le sien. La fuite momentanée pour reprendre ses esprits lui semblait la meilleure option. Car lorsqu’il reviendrait à leur table, il n’aurait plus aucun choix que d’abandonner toute force de résistance. Zac Hwang, aussi inattendu que la pluie un jour de grand soleil ou une tempête en plein été, venait de déposer ses bagages devant sa porte et l’enfonçait d’un grand coup de pied et Eugene Ginzburg ne comptait pas protester une seule seconde.

talk is overrated.
What do you mean, do I want shots ? You already shot me so many times, stranger. Everytime you looked at me, everytime you smiled at me. I can’t take any more shots, pensa-t-il alors qu’il opinait doucement du chef, indiquant son approbation à sa proposition, parce qu’il ne pouvait faire autrement, même s’il ne savait pas vraiment à quelle question il répondait. Il le regarda, du coin de l’œil, disparaître de son champ de vision, et, lorsque Zac fut seul, il expira. Longuement. Un soupir, de soulagement, qui se mua en un sourire, sucré, insatiable, qui s’étira, chaque seconde davantage, avant qu’il ne se mette à rire, silencieusement. Qui était ce garçon ? Que lui avait-il fait ? Ce serait la prochaine question qui lui poserait : What have you done to me, Eugene Ginzburg ? Il espérait que le garçon avait une réponse, parce que lui était à court de mots. Il n’avait aucune explication. Il n’était pas venu pour se faire couper le souffle. Il n’était pas venu ici pour ressentir cette drôle de sensation ; chaque odeur qu’il sentait lui semblait nouvelle, chaque toucher semblait l’électriser, chacune des mélodies qui crépitait du vieux jukebox l’enchantait. Il détestait, d’une certaine façon, être dans cet état : il était faible, il était une proie, prêt à être dévorer par ces sentiments, ceux-là qu’il avait toujours repoussés, jusqu’à en oublier l’existence. Ils refaisaient surface. Ils se fichaient des dégâts qu’ils feraient sur leur passage. Ils arrivaient à toute allure et percutaient chacun de ses organes, rebondissant sur chaque côte, lui donnant des frissons sur chaque centimètre de peau. Zac inspira. Longuement.
Il regarda derrière lui, tournant lentement la tête, enfouissant son menton dans son épaule dans une tentative d’être le plus discret possible. Il cherchait Eugene du regard, comme pour s’assurer que ce n’était pas un mirage, qu’il n’avait rien rêvé de ces dernières minutes. Il le repéra, et l’espionna quelques secondes, souriant à nouveau, avant de se tourner à nouveau vers le siège vide que son partenaire avait quitté et qu’il retrouverait rapidement. What am I even doing ?, se demanda Zac, soudainement, secouant la tête dans des petits mouvements brefs et furtifs. Huh, what are you doing, Hwang ?. Il suffit de cette question, d’une fraction de seconde pour qu’une douce et calme panique s’empare de lui, de ses sens émoustillés, de ses doigts, qui pianotaient sur la table à une vitesse folle, de ses pieds, qui piétinaient inlassablement le sol. Les paroles d’une chanson lui revint, soudainement, pour rajouter à l’égarement qui le conquérait. And it goes, la la la, la la la la la … I won't give up on you, If you will never give up on me .... Oui, une chanson d’amour, c’était une chanson d’amour, qui venait de lui donner la suite des évènements. Zac Hwang ne renoncerait pas au garçon qu’il venait de rencontrer, si ce garçon ne renonçait pas à lui. Dans la tête d’une autre personne, cette pensée serait inextricable. Inintelligible, peut-ëtre. Mais pour Zac, ces paroles étaient une délivrance.
Il regarda à nouveau derrière lui, furtivement. Gene lui tournait le dos. Il tournait le dos à la sortie. Zac comprit qu’il devait saisir ce moment, s’il ne voulait pas se trouver piégé alors qu’il ne dictait plus les termes de l’engagement. Il voulait gagner cette bataille. Il voulait se retirer dans l’ordre, sans nouvelles pertes. Il se leva, lentement, et, sans un regard vers Ginzburg, il quitta le bar.
Dehors, il fut frappé par le vent. Il ferma les yeux, pendant une seconde, et se laissa enivrer par l’odeur iodée de la mer. Il se laissa assourdir par le son des vagues qui se brisaient sur la plage. Il reprenait le contrôle, il reprenait possession de lui, il secouait ses bras pour se débarrasser de cette sensation d’engourdissement. Avant de s’enfuir dans la nuit, Zac se retourna une dernière fois et se posa à nouveau la même question.
What have you done to me, Eugene Ginzburg ?

Oh, les perspectives que cette soirée lui apportait. La tête pleine de rêves inavoués, Eugene s’était avancé vers le bar. Avait sollicité le barman avec hâte, dansant d’un pied sur l’autre, impatient de retrouver Zac, de contempler une nouvelle fois un visage qu’il n’avait jamais pris le temps d’admirer avant. Il avait tourné la tête plusieurs fois pour vérifier qu’il ne s’enfuirait pas, qu’il ne glisserait pas entre ses doigts, qu’il ne s’évanouirait pas dans la nature. Et puis, il s’était perdu dans des attentes sûrement inatteignables, le temps de quelques minutes interminables, alors que le barman s’occupait de sa commande. Se demandant un instant si Zac serait prêt à ça, à finir la soirée avec lui, il prit une large bouffée pour oxygéner un cerveau en perte de moyens. Était-ce cela , le brasier ? La sensation de perdre le contrôle, de donner à l’autre la totale emprise de ses mouvements lorsqu’il semblait dans l’impossibilité de formuler une pensée cohérente tant toutes les possibilités défilaient devant ses yeux impuissants ? Le sentiment profond que Zac Hwang, bien qu’il ait partagé quelques bribes de son passé, était un bout, si ce n’était l’entièreté de son futur ? Le cœur d’Eugene s’agitait bruyamment dans sa poitrine, sous son t-shirt, d’une manière erratique, prêt à le pousser à déposer discrètement une main dessus pour être sur qu’il ne déraillerait pas. Les yeux rivés sur les verres qui venaient se poser devant lui, il tourna une dernière fois le regard derrière lui.
WHERE
HAVE
YOU
GONE
Son regard fit un aller-retour sur la salle presque vide et il se demanda si Zac lui jouait un tour. S’il ne s’était pas caché, s’il n’avait pas choisi de s’amuser de Gene et qu’il n’était pas à le détailler, bien caché dans un coin. Il dût se rendre à l’évidence qu’il se trompait, clignant plusieurs fois des yeux pour tenter de semer la déception qui s’abattit avec véhémence sur ses épaules. Zac Hwang était arrivé aussi vite qu’il n’était parti. Comme une furie, un mirage, une pause enivrante dans une vie qui, jusque là, lui semblait toute tracée.

Mais Eugene n’était pas dupe. Sa présence, ce soir, cette complicité ressentie, ce sentiment qu’il changerait tout, qu’il le changerait lui, il ne s’en départit pas. Soupirant, il ravala la tristesse de devoir finir sa soirée seul, sans Zac. Il souhaita la santé au barman, aspira les verres qui traînaient sur le bar, régla sa note. Ses yeux le cherchèrent une dernière fois dans le bar et dans un soupir lourd, tourna les talons pour rentrer chez lui, espérant que ce soir ne serait que l’épilogue d’une aventure aussi imprévisible qu’exceptionnelle.

Sujet terminé.