seuls et vaincus --

âge trente-six ans, et comme le temps t'échappe, vieux frère — les rides aux coins de tes yeux sont des affronts aux fossettes qui creusent le rire de tes joues. tu n'as pas assez ri, ces dernières années ; c'est peut-être là le problème. et tu as beau plonger dans la mer froide, tu le sais mieux que n'importe qui d'autre — le temps t'échappe et tu cours depuis trop longtemps. naissance et nationalité né le 12 octobre 1984 à brighton (east sussex), ce jour-là, une bombe explose à l'autre bout de la ville, et toi tu pleures dans la nuit noire. un attentat mené par l'armée républicaine irlandaise provisoire dont parlait encore ton père à chacun de tes anniversaires, il y a quelques années. ça l'amusait, on aurait dit — que tu sois l'enfant de la poudre qui a failli emporter thatcher. anglais d'origines brésiliennes et italiennes, ton père a grandi à belém, et d'un continent à un autre, les ports et les containers dorment dans tes veines. plus loin, encore, le grand-père maternel n'a jamais quitté l'île — mais il est tombé amoureux d'une grande italienne aux yeux verts comme des bouteilles à la mer. à guernsey depuis toujours et jamais, comme un refuge, une terre sacrée. de tes vacances d'enfance toutes passées à courir sur les rochers, à l'absence de plusieurs années, une fois adulte. et puis il y a quatre ans, la maison des aïeux t'est revenu. le parquet grince, et il faudrait tout réparer. tu es resté assis sur le perron pendant trois heures, avec l'acte notarial dans les mains ; tu ne pensais pas que ce serait si dur de pleurer. perdre ton nom et te lover dans celui d'un autre, c'est comme ça qu'on fait, pour se raccrocher au sable et au sel. la pierre porte son nom aussi, et chaque retour de reportage est un bain dans l'odeur chaude de la farine et du seigle. depuis la fin de l'année 2020, tu es pourtant bloqué au port comme un voilier avarié. des allers-retours avec la grande-bretagne, quelques semaines en dents de scie entre londres et le port de ta soif. tu ne peux plus repartir pour le moment, et l'air iodé parfois te démange. métier, £££ photographe-correspondant de guerre, co-auteur d'un documentaire sorti il y a quelques années, actuellement en travail sur l'écriture d'un essai auto-biographique sur le travail de reporter de guerre — et ça te semble ridicule, à toi aussi, d'être assis là face à la fenêtre de la cuisine, d'être bloqué sur cette terre ferme. des titres d'honneur non-mérités, de la bonne presse, de l'image ; et toi, tu voles des fractions de seconde à des inconnus. et toi, qui a tant pris, qui a tant vu, tu ne peux retourner au loin contre l'avis des médecins. il faut dire que la balafre est encore fraîche, même si cela fait six mois — ton père riait presque, que tu sois le fils de la poudre. statut civil, orientation en couple, depuis maintenant assez d'hivers et assez d'étés pour te faire croire que la vie pourrait continuer ainsi ; mais tout n'est pas bleu comme le ciel et comme la mer, et tu sais le poids de tes méfaits. il y a encore l'odeur de sa sueur dans le creux de son oreiller au petit matin, mais il y a aussi celle de tes gueules de bois qui meurent en excuses trop longues, presque à chaque fois. tu l'aimes comme le jour aime la nuit, et pourtant tes doigts de soleil sont allés faire des éclipses ailleurs, dans un faible moment de doute. tu voudrais ne plus lui faire porter ce poids d'atlas en solitaire, et puis lui promettre que l'aube demain sentira encore le pain chaud et le jonc. bisexuel, même si ta préférence va plus souvent aux jolis garçons ; tu n'as de toute façon eu que peu de relations réellement sérieuses avant le sourire de théo. pronoms he/him. faceclaim rafael lazzini. personnage pré-lien de @sofia valentine. crédits @rafaellazzini, nino ferrer.

— caractère écrire ici quelques traits de caractère

CW: PTSD DUE TO WAR TRAUMA (DEPRESSION, ALCOHOLISM, SELF HARM), CHARACTER GETTING ASSAULTED/BEATEN UP, MENTION OF CHILD DEATH, SEX, CHEATING, LOSS OF FAMILY MEMBERS.

11/19: uc

à toi, mon homme ; maman disait toujours que je t'avais pris tes mains et tes yeux. j'aimerais pourtant encore pouvoir les sentir, ces mains, se poser sur mon crâne. j'aimerais pourtant pouvoir les sentir, ces yeux, se poser sur mon visage.

03/20: au revoir papa

à toi, mon monstre ; je ne saurais dire pourquoi tes yeux dorment encore dans mes nuits. c'est injuste, parce qu'ils me rappellent à chaque fois que je suis un chien, moi aussi. ton sourire assassin est exposé en quatre par trois dans le coin des miroirs. il paraît qu'ils t'ont mis à pied pour faute grave. mais moi, je m'en veux toujours. personne ne m'a renvoyé devant un tribunal correctionnel. personne ne m'a dit que c'était fini. personne n'a entendu ma voix de coupable. tu frappes mon crâne contre le sol, et je t'entends encore rire, à demi-ivre. crois-tu que tu referas le monde avec tes espoirs et ta belle gueule ? le ciel est en feu, comme tous les soirs trop proches de dieu. je crache du sang et tu cries et ils hurlent. tu m'as traité de traître. je m'étouffe chaque nuit de la bouillie épaisse qui sort de ma gorge. je me demande encore à quel moment j'ai pu m'égarer, te regarder assis sur une chaise en plastique blanc, et me dire que tu étais beau. il paraît qu'on ne parlera jamais de ce solstice d'hiver en terre sainte. ton accent texan roule encore sur mon épine dorsale, et je ne sais plus différencier les insultes des coups de canif.

12/20: qui est le putain de connard qui a fait ça ?! tu t'es évanoui après avoir entendu un craquement sourd en dedans. sur ton gilet pare-balles, il y a écrit "presse", et sur la crosse du M4 il y a écrit ton arrêt de mort. lorsque tu envoies une photographie pour dire à théo que tout va bien depuis un hôpital militaire au sud de l'allemagne, il ne comprend pas. les souvenirs sont un amas d'échardes, et les papiers signés à la va-vite ont tordu ta langue en un noeud de cent ans. t'as totalement déconné, costa. un traumatisme crânien, une épaule démise, tes côtes en lambeaux et une brûlure de cigarette, dans le creux de ton cou. c'est un scandale d'état qu'on étouffe en quelques souffles ; celui du passage à tabac d'un photographe par l'équipe-même qu'il accompagnait en mission. toi, tu te souviens de ses yeux bleus comme le ciel. une affaire comme ça, ça ne doit pas se savoir, ça ne doit pas s'ébruiter. "ce n'est pas de ta faute", essaie de dire théo au téléphone. tu ne sais pas comment lui dire "non, peut-être que si, que c'est moi depuis le début" alors tu grognes des banalités. mais tu te rappelles de quelques images, même si ton argentique a été fracturé et que la pellicule est voilée. ce n'est pas ton travail, de t'interposer. tu te rappelles pourtant des yeux morts de l'enfant.

à toi, mon frère ; excuse-moi pour l’ivresse. mon corps me fait mal, et ma tête un peu plus. je fais des ratures pour te dire que je t’aime. je fais des ratures sur ma peau, et puis je fais des ratures sur la route — j’ai les doigts plein de bleu de chine, et la tâche d’encre sur les draps blancs semble indélébile. hier, j’ai acheté une bouteille de jack. excuse-moi, mon frère ; pour ma faiblesse, pour ces écarts. mais je n’ai pas su te parler de la nuit où l’on a fait des ratures sous mes os. parfois je me réveille en sueur, et tu dors toujours, et ma torpeur semble ridicule. je suis ridicule. j'ai continué à te faire l'amour (avec la même fougue) alors que dans mon sac dormaient les images de corps tordus de douleur et d'hôpitaux livrés aux chiens. j'ai souri devant des dizaines d'hommes et de femmes, bu des coupes de champagne sur le dos de la misère des autres — mais cette fois, je n'y arrive plus. j'aimerais retourner loin d'ici, m'excuser et puis aller cracher au visage aussi ; cracher au visage de celui qui m'a laissé seul et vide sur le port. c'est un enfant mort qui a croisé mon regard le premier quand je me suis réveillé à l'aube et que la terre était rouge. je n'ai que des souvenirs confus, depuis le coucher du soleil. hier, j’ai acheté une bouteille de jack. je n'y pense pas tout le temps et c'est peut-être ça le pire — quel monstre dort sous ma peau pour avoir pu oublier aussi souvent ? je retourne m'enfermer dans la cave devenue chambre noire. ça sent la soude et mes doigts me brûlent. mais la maison à cette odeur ; le seigle et la soude.

02/21: on a une proposition pour toi. la proposition est un contrat avec un éditeur, et toi tu regardes ton agent sans le voir. deux mois déjà que tu es rentré, et que tes jambes tremblent doucement sous le bureau. tu t'endors dans la nuque de théo, parce que tu as encore pleuré sans pouvoir lui expliquer. tu t'es encore retrouvé là, assis au fond du grenier sombre. ça sent la poussière et le vieux papier, et tes épaules sont lasses. on a une proposition pour toi. ça, ça veut dire: "oublie ta carrière." ; ça, ça veut dire la fin. théo est resté accroupi sur les lattes du plancher usé, il a repris la cigarette incandescente de tes lèvres fendues. "y en a eu assez pour ce soir", disent ses mots quasi-inaudibles. il sait qu'il ne faut pas toucher les brûlures sur tes bras. les brûlures sur tes cuisses. que tu ne veux pas de cette éponge passée dans le dos, que tu ne veux pas le savoir assis au bord de la baignoire quand tu y enfonces ton crâne sous l'eau. il sait que tu ne demandes qu'une chose. "y en a eu assez pour ce soir", dit-il — tu ne veux pas être un chien battu. ton souffle pue le whisky, et il faut nettoyer la cendre sur ta peau à vif. il a promis de ne pas te regarder faire, même du pas de la porte de la salle de bain, même du couloir, même dans le miroir. il y a sa main sur ta mâchoire, et tu ne sais plus quoi lui demander.

04/21: sofia