stranger things (daisy)

**Invité** Invité

and i will try to breathe
'til it turns to muscle memory
i'm only steady on my knees
one day I'll stand on my own two feet

L’impression que le temps s’écoule au ralentit, bien loin de tout paradis. Les jours se suivent, se ressemblent, là où l’air iodé laisse cet arrière goût d’inachevé. Prisonnier de l’océan qui borde l’île, Azriel ne peut plus fuir. Fuir un passé qui le poursuit, ici, là où les souvenirs prennent vie. Le regard sur l’horizon, qui contemple les vagues d’une mer agitée s’échouer sur la plage parsemée d’un sable blême. Un spectacle prodigieux qui lui semble soudainement si hideux. Se retrouver là, face à celle qui écume les vies, cette vaste étendue d’eau. Parce que cette journée est ancrée dans son esprit, depuis toutes ces années. Parce qu’il n’y a pas de retour en arrière possible.

Assit sur le sable fin, la plage semble déserte en cette fin de journée. Le soleil, caché derrière les nuages laisse une brise fraîche et douce glisser contre la peau d’Azriel. Moment solitaire, qui lui permet de mettre ses pensées au clair. Une feuille de papier à la main, prêt à écrire à Beth. Parce qu’aujourd’hui, on est jeudi, le jour où il lui parle, où il écrit quelques mots pour elle. Pourtant, le stylo entre les doigts, reste paralysé en haut de cette page vierge. Parce que parfois les mots restent bloqués, ne veulent pas s’inscrirent sur cette lettre. Parce qu’il est parfois difficile de savoir quoi lui dire, quelle pensée partager avec elle. Et comme toujours, le coeur se serre, la gorge se noue, parce qu’au fond il n’a jamais réussi à faire son deuil, parce qu’il n’arrive pas à oublier sa perte. Il n’existe aucune notice pour réparer un coeur à l’abandon. Alors comment faire ? Que quelqu’un lui dise comment on est censé panser une blessure du coeur. Il y a-t-il un remède ? Ou est-ce qu’il est destiné à vivre pour le reste de ses jours avec ce trou béant dans sa poitrine ? Le soupire sort de ses lèvres à cette simple pensée. Un souffle qui se mélange à la brise, qui s’évapore délicatement dans l’air. Ma bien aimée Beth. Les mots glissent, laissent l’encre s’imprégner sur la feuille. Il la tient adroitement entre ces mains, cette page blanche, ne souhaitant pas revoir le scénario de la semaine passée se répéter. Voir une autre de ses lettres être emportée par le vent marin. Parce qu’il y tient, à ses lettres, celles sur lesquelles il étale ses pensées personnelles. Ce jour-là, sa lettre avait certainement dû suivre le même destin que Beth, noyée dans le courant de l’océan. Et il était hors de question qu’il en perde une de plus. Comme des petits trésors qu’il chérit, ces lettres avaient une importance particulière pour lui, elles étaient significatives et lui permettait de garder un lien avec Beth bien qu’elle ne soit plus à ses côtés. Certains se moqueraient très certainement de lui, trouveraient cela idiot, que pour oublier véritablement quelqu’un, lui écrire n’était très probablement pas la solution. Que faire, lui ça lui mettait un peu de baume au coeur. L’esprit songeur, à la recherche de ses mots, le jeune homme n’entendit pas les pas se rapprocher de lui. « Azriel ? » Son prénom en résonance dans ses tympans, il releva soudainement le visage pour identifier la personne à qui appartenait cette voix. Il lui fut impossible de mettre un prénom sur ce visage, qui était-elle ? La connaissait-il ? Si c’était le cas, sa mémoire lui ferait-elle défaut ? « Oui ? » Les questions commençaient à planer dans son esprit. « On se connaît ? » Et alors qu’il attendait une quelconque réponse, ce qu’il vit le figea. Serait-il possible que…

La mer ne l’avait pas emporté,
Le laissant apeuré,
Par le présent que cette femme détenait.
Sa lettre.

Daisy, elle ressent des choses que les autres ignorent. Ca a toujours été ainsi, du plus loin qu'elle se souvienne. Elle a été marquée par la mort alors qu'on lui avait à peine donné la vie, suivie par le fantôme de sa sœur aînée qu'elle a si peu connue, mais avec qui elle a grandi malgré tout. Elle veillait sur la fillette, qui préférait s'échapper seule dans ses autres mondes. Elle avait peu d'amis, on l'évitait un peu, mais elle choisissait aussi, de s'éloigner du monde. On ne la comprenait pas. Avec le temps, peu de choses ont changé. Le nom des Dayman fait frissonner les habitants de l'île qui ne croient que ce qu'ils voient. Mais il attire aussi les curieux, les indécis, les désespérés. Même si Daisy refuse de crier sur tous les toits qu'elle voit des choses que les autres ne voient pas. Elle ressent les âmes tristes qui errent sur l'île, les vivants comme les morts, à qui le temps parfois ne fait pas d'effet. Tous les jours, elle croise des gens au regard vide, perdu dans les souvenirs douloureux - ces gens qui se perdent dans la foule de la vie, mais elle, elle les voit. Elle ne peut jamais les ignorer, et elle est presque attirée à eux. Son père parle de ça comme d'un don qu'elle doit chérir précieusement, et elle a grandi en apprenant comment faire. Elle ne s'inquiète pas des choses qu'on ne comprend pas, elle ne laisse pas son cœur emprisonné par la peur par tout ça.
Aujourd'hui, Daisy ne travaille pas. Même sur une petite île tranquille, il n'y a pas de courrier le dimanche. Elle profite toujours de cette matinée offerte pour se laisser errer où ses pas la mènent. Elle reste rarement à la maison la journée, qu'importe le temps qu'il fait dehors, par vent ou par neige elle a besoin de respirer l'air frais de Guernesey. Parfois elle se perd en forêt, parfois elle se fond dans la population un peu plus dense de la ville, parfois elle monte sur une colline et regarde l'horizon et plus loin encore. Aujourd'hui, c'est la mer qui l'a appelée. Elle a passé une robe longue et des sandales plus tôt ce matin, encouragée par les rayons chauds du soleil qui passaient à travers les carreaux abimés dans sa chambre. Elle a défait la queue de cheval pour laisser tomber ses cheveux, qu'elle n'a pas pris le temps de brosser, ils lui font bien trop de nœuds tous les jours. Et comme tous les jours elle a enfilé son sac en tissu et enfourché sa bicyclette, à la différence près qu'elle n'a pas de livraison dans son panier - juste une lettre perdue, cachée dans son sac, qui n'a pas d'espoir d'être retrouvée. Elle sait déjà où elle se rend, elle pédale doucement pour éviter d'avoir à utiliser ses freins un peu usés, qu'elle devrait faire réviser bientôt. Très vite elle descends des falaises et approche des plages qu'elle aperçoit de sa fenêtre. Il n'y a personne face à l'eau lorsqu'elle s'arrête et qu'elle pose son vélo sur la béquille. Rien qu'elle, et l'infinité de la mer. Elle retire ses chaussures qu'elle laisse pendre à ses doigts pour laisser ses pieds glisser doucement sur le sable mouillé. Elle plisse les yeux, le vent iodé balaie ses cheveux, qui fouettent son visage. Elle avance près des remous, laisse l'écume lui frôler les orteils, respire avidement l'air de la mer. Elle longe la plage, les yeux rivés sur l'eau qu'elle nargue du bout des pieds. Tout à coup, elle sait qu'elle n'est plus seule.
Elle relève ses grands yeux au loin et aperçoit une silhouette assise sur le sable, face à la mer. Elle fait partie des âmes en peine que Daisy rencontre chaque jour et chaque nuit sur l'île. La vue floutée par l'insouciance de la santé de ses yeux, Daisy s'approche et les contours de la silhouette se dessinent, de plus en plus nets. Elle voit maintenant un jeune homme pensif, et reconnaît le papier qu'il tient dans les mains, le même qu'elle tient aussi - la lettre égarée qui a trouvé son chemin par hasard, et qui l'a menée jusqu'ici. - Azriel ? Le nom sonne familier, pourtant elle ne l'a jamais rencontré. Leurs yeux se rencontrent et Daisy n'a plus de doute. Elle l'a trouvé. Celui qui répond à ce nom qu'elle ignorait encore ce matin la regarde, attend des réponses. - On ne se connaît pas... Mais elle le connaît, un peu. Par un hasard, parmi tant d'autres auxquels elle est habituée, elle a trouvé ses mots. Elle sait pourquoi il est ici, aujourd'hui, pourquoi il était déjà là d'autres fois. - Mais j'ai trouvé quelque chose qui t'appartient. Il pose les yeux sur la feuille qu'elle serre pour la protéger du vent. - J'ai pensé que je pourrais te la rendre si je revenais par ici. Elle lui tend finalement le papier griffonné sans le regarder. - Je ne l'ai pas lue. Elle rajoute pour le rassurer. Elle n'en a pas eu besoin.

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