have you ever seen the rain; olly

La tasse est chaude entre ses paumes. Sur ses poignets, sous les plis de ses manches, Dani dissimule les vestiges de son mariage. Les marques indélébiles d'une brutalité continue – les doigts de son mari sur sa peau, cicatrices de ses ongles, une fois où il a planté jusqu'au sang. Le vent s'engouffre dans la fenêtre entre-ouverte, s'échoue sur son visage crispé, et Dani détend les épaules. Elle n'est pas là-bas. Elle est ici, un petit appartement au parquet vieilli, refuge temporaire dans lequel sa silhouette flotte. Elle s'y fait discrète, parce qu'ici elle est étrangère – l'hospitalité de son hôte lui semble fine et fragile. Elle craint un mouvement, un mot, un regard de trop, et que tout s'effrite. Elle est bien, ici. Le matelas est un peu fin et le radiateur fonctionne mal. Mais elle est bien, parce qu'elle est loin, loin de la France, et loin de lui. Et si, dans ses insomnies, tout comme dans ses cauchemars, sa main se glisse sous l'oreiller et agrippe avec force le canon de son arme, lorsque l'aube se lève, et que ses yeux retrouvent les contours des meubles, pas les siens, son cœur s'apaise, juste assez pour une inspiration, puis deux. Dani serre les paupières, respirer l'air froid du matin. Il est tôt encore, elle s'est fait silencieuse pour rejoindre la cuisine, de vieux réflexes qui collent à la peau, pour toujours peut-être. Olly apparaît dans l'encadrement de la porte – ses yeux sont clairs, et profonds. Il y cache tout, comme elle, les secrets qui l'intrigue sans qu'elle ne provoque. Elle sait ce que c'est, de courber l'échine sur un passé qu'on préfère taire mais qui tire des regards indiscrets et font lever les murmures. 'I'm sorry, I didn't mean to wake you.' L'accent est fort entre ses lèvres, les syllabes marquées de sa France natale. 'I made coffee, do you want some ?' C'est bancale et un peu timide, mais ses yeux sont vifs sur les traits tirés d'Olly. 'I also tried to make pancakes, but I burnt them.' Sur le plan de travail, l'assiette fume au-dessus des crêpes noircies sur les bords. Dani grimace, le cœur un peu battant. Les ratés sont sans conséquences, désormais. Mais ses côtes se rappellent encore des poings qui s'acharnent à cause d'une viande trop cuite, un soir de fatigue. 'I can try again. Or I can get something from the shop.' Ses mains tremblent, mais elle sait, elle sait, qu'il n'y a rien qui la menace, ici. Rien, ni personne.

Les journées se ressemblaient toutes, mais ça ne dérangeait pas Olly plus que ça. Depuis des années il avait appris à survoler le présent sans trop se faire remarquer, rendu plus calme et plus discret par les événements de son passé. Il restait presque le même Olly avec ses amis proches et sa famille - qui se résumait à sa mère perdue dans son petit cottage de campagne. Mais la journée, il était l'homme à éviter. Il était loin du jeune Olly avide d'aventures. Mais la vie l'avait forcé à se résigner à une vie plus silencieuse, à se faire oublier du monde. Dix ans avaient passé, mais pas un jour sans que Olly ne pense à Lucy. On avait jamais retrouvé son corps, ce qui ravivait continuellement la colère des gens, persuadés qu'il était responsable de la disparition de la petite fille et qu'on laissait un criminel en liberté. On avait pourtant aucune preuve contre lui, mais il n'avait aucune preuve de son innocence. Olly avait les yeux perdus dans le vide quand il se souvenait de Lucy, qui aurait eu dix-sept ans cette année. Il pensait parfois la reconnaître dans la multitude de visages enfantins qu'il voyait entrer dans la boutique tous les jours - il espérait encore l'y trouver. Olly s'étire en observant le brouillard épais par la fenêtre de sa chambre. Il ouvre les yeux péniblement, réveillé à l'aube par les tourments de sa locataire de fortune. C'est une française, il lui donnerait la quarantaine. Il l'héberge pour une misère, parce que ça ne vaut pas vraiment plus. Il a transformé la seconde chambre, qui ressemble plus à grand placard, c'est tout ce qu'il avait à proposer. Elle est arrivée il y a quelques semaines à peine et a répondu à son annonce qui traînait dans les journaux et sur les panneaux d'affichage depuis un moment. La cohabitation entre eux était simple, ils étaient peu bruyants tous les deux, ce qui semblait leur convenir. Olly n'était pas gêné par la présence de Dani. Au contraire. Depuis des années il se sentait enfin moins seul. Mais il arrivait quelquefois qu'elle s'agite durant la nuit, et Olly se réveillait le cœur battant. Ils se connaissaient si peu, ça ne l'empêchait pas de craindre qu'il lui arrive quelque chose. Il soupire, soulagé, lorsqu'il la voit assise devant sa tasse à la table de la cuisine. - You didn't. Il répond d'une voix encore engourdie par le sommeil, mais sincère. Il se serait réveillé de toute façon, peut-être par ses propres cauchemars. Quelque part, ils s'étaient bien trouvés et s'accommodaient bien l'un de l'autre. Olly lui offre un petit sourire pour la rassurer et ne lui posera pas de question. - I'll take a cup, thanks. Olly ne vivait plus avec sa mère depuis les événements d'il y a dix ans. Il allait la voir toutes les semaines, autant qu'il le pouvait, mais il avait préféré s'éloigner d'elle, ou plutôt éloigner son malheur et la laisser respirer. Au fil des années, malgré les quelques aventures qu'il avait ramené chez lui, il avait apprivoisé sa solitude. Mais il devait admettre que les habitudes maternelles de Dani lui réchauffaient le cœur. Il tourne la tête en direction de l'assiette ratée et hausse les épaules. Olly mangerait n'importe quoi, n'importe où, et quelques pancakes brûlés ne l'effrayaient pas. Il attrape l'assiette pleine et la recouvre de miel, puis vient s'asseoir à côté d'elle et dévore le petit-déjeuner sans sommation. - Thank you Dani, they're perfect. Il ignore sa proposition qui n'est pas nécessaire, ne dirait rien qui puisse la blesser. Elle avait l'air suffisamment abimée par son passé. Il ne se rend pas compte de son trouble et continue son festin. Olly ne sait pas cuisiner et se nourrit mal depuis qu'il vit seul. Des pancakes un peu noircis sur le dessus étaient un grand progrès. - Do you have work today? Il se demande, alors qu'ils sont levés en même temps que les premiers rayons de soleil. Bien que ce n'était pas la première fois.