La pluie c'est des miettes de nuages. || Niisha

-Ragnarok, viens ici !

Un froufrou monte des herbes et quelques instants plus tard un troupeau de chèvres s'éparpille en bêlant de contrariété. Poursuivi par le chien du berger à grands renforts d'aboiement, Ragnarok traverse le champ, boule de feu criante, semblant léviter au dessus de la végétation humidifiée par le crachin de l'automne. Les mains enfoncées dans les poches de ton ciré militaire, tu siffles de plus belle pour diriger ton chien vers ta présence. Sobaka installé à tes pieds pouffe d'incrédulité : le comportement de ce spitz est proprement incompréhensible pour son tempérament tranquille et introverti.

Ragnarok t'atteint au moment où le propriétaire des chèvres se retourne pour jauger le responsable de cette agitation et il se serait sans doute mis à gueuler si tu n'avais pas agité la main en signe d'apaisement et d'excuse. Ton ossature achève sans doute de le convaincre de ne rien dire car il s'éloigne.

-T'as fini oui ?

Ragnarok extirpe des hautes herbes un bâton presque pourri tant il est humide et te le présente, la queue battante. Pour signifier que la promenade, que tu as fait seul à cause du temps de merde, touche à sa fin, tu lances le bâton sur le sentier qui mène à la maison. Le vent se lève et agite en bourrasques violentes de fluides rideau de pluie qui prennent tes cheveux pour embrasses. La Norvège est encore loin mais tu as l'impression de l'avoir retrouvée. Ragnarok part comme tiré par un canon, et bientôt sa fille trace à son tour en piaillant, ainsi que NewJ. Tu te retournes pour t'assurer que Norne et Nell suivent derrière toi, de leur pas lourd et paisible.

C'est très, mais alors très difficile de louper les spitz quand ils courent après un foutu bout de bois ; c'est bien simple on dirait qu'on les massacre tellement ils gueulent fort et aigu. J'ai fait des recherches sur internet et ils disent que le spitz a comme défaut d'être « bruyant » ; sincèrement moi j'trouve qu'on est au-delà du stade du simple bruyant, mais comme ils sont mignons... On peut leur pardonner.
D'habitude, je suis plutôt le genre à me trimballer en costard 5-6 pièces facile, parce que j'adore être bien fringué et qu'il paraît (mais j'y crois pas trop moi) que j'ai facilement tendance à me la péter. Mais pas aujourd'hui ; aujourd'hui les gars j'ai un jeans déchiré aux genoux et plein de traces de peinture, et un t-shirt avec Marylin Monroe quatre fois portraitisée par Andy Warhol en personne. Bon et un sweat ouvert par-dessus parce qu'il fait grave froid dans ce pays ; heureusement que mon mec vient du grand Nord sinon j'aurais craint de le retrouver congelé façon Ötzi (mais non j'exagère pas...)

C'est Ragnarok bien sûr qui entre le premier comme s'il avait été projeté par un canon, le tout en hurlant et en foutant des traces de petites pattes mouillées partout. Nemo, qui dormait du sommeil du juste roulé en boule sur un pot de peinture, ouvre un regard vert dédaigneux sur cet idiot de canidé hystérique.

Faut dire que le tout petit chaton que j'ai sauvé y a de ça quelques années est devenu une espèce de panthère à poils longs qui concurrence assez bien la taille du mini spitz.

« Ragnarok, tout le monde t'a entendu je crois... même à l'autre bout de l'île ils savent que t'es rentré », je fais en accueillant la tornade de poils roux qui me saute dessus, suivi évidemment par sa fille Nasdrovie qui ne veut pas rester en arrière, non mais oh. « Tu tombes bien », je fais à Niilo, « j'étais en train de me demander comment créer une espèce de jardinière intérieure dans l'espace qu'il reste là. »

C'est pas poli de montrer du doigt mais je crois pas que le mur se plaindra spécialement que je le fasse. Tout le monde devrait faire comme ce mur.

« Enfin la jardinière j'ai une vague idée ça reste un cube, rien de bien sorcier », je dis ça mais en fait j'ai pas vraiment de logique manuelle et à vrai dire j'me contente de conceptualiser les choses et laisser mon mari se démerder pour faire de mes idées une réalité « mais comment faire pour que ça soit facile d'entretien ? »

Contrarié, je passe la main dans mes cheveux bruns, les rejetant en arrière. Très Altesse Sérénissime je réclame impérieusement un bisou.

Alyosha t’alpague à peine rentré avec cette confiance en ton talent inébranlable. Bien sûr il est parfaitement normal que tu rentres trempé comme une soupe d’une balade de plus d’une heure sous le crachin apporté par le vent marin et que tu sois d’attaque pour faire de la conceptualisation et de la décoration d’intérieure. Après tout c’est comme à l’armée, il faut être frais et dispo tout le temps. Tu ne sembles pas t’en soucier de manière négative ; un savant mélange d’amour et de patience a transformé ta vision du caractère envahissant d’Alyosha en charme fou.

« Là comme ça je ne sais pas. » réponds-tu paisiblement en refermant derrière toi la porte de ce qui deviendra une auberge, après que les chiens sont rentrés. Tu te sépares de grosses bottes de caoutchouc et de ton ciré trempé pour ne pas ruiner le sol...du moins pas plus loin que la petite flaque qui déjà se forme. « Tout dépend du type de plantes que tu veux mettre dans la jardinière, c’est ces plantes-là qui vont dépendre de la place et de l’entretien que tu dois leur octroyer. »

Pragmatisme dingue, comme toujours. Tu baisses la tête pour offrir à Alyosha un baiser glacé à travers duquel transparaît toute une aura froide venue de l’extérieur humide.

« Il faut que je boive un truc chaud. Tu veux un café ? »

Le truc admirable chez mon mari c'est ce côté pragmatique qui contrebalance si bien mon propre caractère propice à l'imagination galopante (et notamment de trucs forcément atroces). Ça et le fait qu'il ne s'étonne de plus grand-chose depuis que j'ai pendu des orchidées au plafond d'un de nos apparts, précédents parce que NewJ les bouffait. Je crois que c'est la dernière fois qu'il s'est étonné d'une de mes actions, enfin, à haute voix en tout cas (je ne sais pas ce qu'il se passe dans sa tête, il est bien trop hermétique pour ça).

« Je me demandais si je mettrais pas des Sempervivum, comme ça pas besoin de les arroser genre avec un arrosoir et tout. Juste un brumisateur l'été. »

Moi ? Dire le nom courant des plantes ? Allons bon, il faut être précis quand on donne dans la botanique, mes amis ! Je réfléchis à cette histoire d'arrosage l'été en me demandant à quel point l'humidité de la mer peut aider – ou ne pas aider à cause du sel contenu dans l'atmosphère. Bon il faut que je me renseigne, et je note ça dans un coin mental déjà surchargé.
J'ai un piaillement démonstratif quand Niilo m'embrasse :

« T'es gelé ! »

Non, le pire c'est que lui doit être juste bien, ce fichu bonhomme de neige. C'est comme Nell & Norne qui sont heureuses comme des reines dans leur manteau de poils super chauds.

« Oui je veux bien ! »

La façon dont je réponds – trop vive, comme d'hab – donne un petit indice sur le fait que je n'en ai absolument pas besoin, mais à vrai dire je bois tellement de café que je pense que ça constitue une partie de mon sang... ça fait plus d'effet sur moi.

« Qu'est-ce que tu penses des couleurs que j'ai choisi pour les peintures ? J'ai tout laissé sur le comptoir de la cuisine. »

Je caresse Sobaka qui vient quémander des caresses, le nez en l'air.

« Des quoi ? » demandes-tu avec une dignité terrible pour quelqu’un qui se fait juger à chaque fois qu’il fait preuve d’une lacune dans sa culture quelque soit le domaine – souvent, donc, étant donné le mari avec lequel tu vis. « Il faudrait qu’on se renseigne, genre chez le fleuriste ou s’il y a une jardinerie. Je pense qu’on arrose pas exactement les plantes de la même manière qu’en Amérique ici, avec le climat... »

Pourri.

« ...humide. »

Tu laisses échapper un rire et comptes les chiens avec un tel réflexe que tu peux faire plusieurs choses en même temps, du genre songer à aller aux toilettes, écouter l’injonction d’Alyosha, penser à monter le thermostat parce qu’il fait froid, et te diriger vers le comptoir de la cuisine.

Le marteau-piqueur de la machine à café branchée à côté de toi se met en marche tandis que tu fais coulisser entre tes doigts les morceaux de papiers colorés comme autant de pétales d’une fleur d’un monde merveilleux.

« Du rose, sérieusement ? » t’étonnes-tu. « C’est... » Tu cherches un instant le qualificatif. « Tellement toi. »

Tu réactionnes la machine et lui tends son café quand il revient vers toi, t’accoudant avec ce charme impassible pour considérer les propositions de ton mari.

« Je n’ai aucun doute sur le fait que ça va bien s’accorder mais je n’arrive pas trop à me le représenter pendant que c’est pas encore peint...Oui je sais, c’est trop tard quand c’est comme ça. Est-ce que la douche fuit toujours au fait ? »

Si c’est le cas ce n’est pas si grave ; c’est toujours mieux que la fosse sceptique qui arrive dans le bac de la douche comme c’était le cas à votre arrivée.

« Les plantes grasses qui ressemblent à des choux avec des piquants », j'explique avec une impassibilité que j'estime absolument exemplaire, parce que pour réussir à décrire les choses à Niilo, j'ai galéré quelques mois avant de capter comment il fonctionnait.
C'est-à-dire beaucoup plus simplement que moi, et mon esprit torturé à un mal de chien à trouver des explications implacables et qui passent par le moins de points possibles de sorte à ce que ça lui évoque quelque chose. « Oui t'as raison ça changera probablement les choses. Je m'inquiète surtout à cause de la salinité de l'air. Le sel c'est pas bon pour les plantes, sauf les algues, j'imagine. »

Je me rends compte en disant ça que j'en sais rien, ce qui est forcément grave, et me note de faire des recherches dessus, genre dans les prochaines 48h sinon je vais oublier – le pire c'est que je pense que je vais forcément oublier vu le nombre de trucs que j'ai à faire dans les prochaines 48h entre la livraison des plantes que j'ai déjà commandé, les meubles, et la peinture qui doit arriver, sans même parler de la poser sur les murs.
Uuugh.
Mais que personne ne s'y trompe je suis très heureux de retaper l'auberge, ne serait-ce déjà parce que les chiens peuvent largement plus courir que quand on habitait dans le Bronx ; y a que pour Nemo que ça change que dalle, il s'en fout complètement. Ce chat veut juste être dans ma proximité et dormir.

« Il est joli ce rose, non ? », je demande en rabattant une mèche en arrière d'un geste impatient ; il faut que je me fasse couper les cheveux mais je sais pas s'il y a un coiffeur décent sur cette île. J'ai pas encore intégré toute la portée du caractère insulaire de notre nouvelle vie, j'ai juste vu l'avantage que si un chien se barrait il pourrait a priori pas aller trop loin. « Oui chéri quand c'est peint c'est trop tard, mais si tu veux j'ai fait une simulation sur la tablette qui est rangée dans le tiroir devant lequel t'es », je lui fais avec un sourire malin de lutin allumeur. « Toujours, oui, ma réparation n'a pas tenu et je suis un peu vexé », j'informe avec un air collet monté que n'aurait pas renié mon ancêtre le prince Diamant.

« Euh, peut-être. »

Avec une sagesse aussi calme qu’exemplaire tu laisses échapper la certitude que toi tu n’y connais rien. En même temps en dehors de la marine tu ne connais pas beaucoup de choses et tu peines encore à faire ta vie sans ça. Si la plante en question se mangeait tu aurais pu l’aider, mais dans le cas contraire ce domaine t’est complètement hermétique.

« Tout ce que je sais c’est que cet air salé me rend les cheveux très secs et qu’il va falloir que je trouve une droguerie pour acheter de quoi les soigner avant de devoir prendre des mesures drastiques. »

Et personne ne veut voir Niilo Dahl prendre des mesures drastiques à propos de sa fameuse tignasse blonde.

Tu avales une gorgée de ton café pour te saisir du tiroir le plus sécurisé du meuble auquel tu t’es accoudé ; en effet la quasi totalité de l’auberge en dehors de ses mures est complètement branlante et les tiroirs ferment si mal que les plus intelligents de vos chiens sont capables de les ouvrir – et Nemo de s’y cacher et de s’y faire enfermer en plein dodo, tapissé dans l’obscurité chaude du bois. Le contenu du tiroir se dévoile et plein de trucs de ce qui est devenu une sorte de vide-poche recouvrent déjà la tablette – des objets non identifiés, des vis, du scotch et bien évidemment du lubrifiant.

« Il faudra qu’on installe rapidement du réseau ici mais je sens que ça va être compliqué. Il va falloir se débrouiller autrement pour l’ambiance sonore pendant un petit moment. J’espère que tu as gardé tes CD d’opéra russe. » lances-tu, moqueur.

Tu ouvres l’application et navigues dessus comme un joueur de Sims, portant ton café à tes lèvres.

« Je m’occuperai de la douche, sinon la vie d’ici va ressembler un peu trop à mon ancienne vie militaire. »

Bon ma description – que je trouvais pourtant très bien, moi – des joubarbes n'évoque absolument rien à Niilo, ce qui n'est pas très étonnant. Qu'on s'entende bien : j'aime, j'adore, je surkiffe ce mec – et je voue quasiment un culte à sa bite mais ça c'est un autre sujet – mais il faut bien dire que c'est pas par sa connaissance du monde qu'il brille, l'animal. Ah tant qu'il parle bateaux il peut tenir un long moment et je me rappellerai longtemps de l'histoire du Vasa qu'ils m'ont raconté en alternance avec sa cousine, c'était quelque chose...
Mais sorti de là, il a un sacré paquet de lacunes. C'est pas un mal : ça me permet de regarder ce que je veux en pop culture puisqu'il ne connaît pas, et je m'amuse beaucoup à lui organiser des cours de rattrapage, mais c'est assez impressionnant. Au bout de 3 ans de mariage, je ne sais toujours pas si c'est parce que ses parents sont résolument contre ou si c'est parce qu'ils s'en désintéressent. Les Norvégiens sont volontiers sympathiques en surface, mais ils mettent beaucoup de temps à laisser les gens entrer dans leur petite bulle, j'en sais quelque chose...
Remarquez, moi à la base je suis parisien et non seulement on met du temps à laisser les gens entrer dans notre bulle mais en plus d'abord on est pas sympas du tout, alors ça change.

« Je crois qu'il y a ça en centre-ville, sinon au magasin bio j'ai chopé des graines de lin, ça peut te servir je crois ? Je comptais faire autre chose avec, mais tu peux les prendre si c'est pour tes cheveux. »

J'aime bien sa crinière, je m'en cache pas, je veux bien sacrifier mes salades de pétasse végétarienne pour le bien de ses cheveux. Je m'appuie des reins contre le plan de travail, réchauffant mes mains contre la céramique brûlante de la tasse, respirant avec délices l'odeur du café. Sans déconner, je ne sais pas comment je ferais pour vivre tous les jours de ma vie, sans ce délice.
C'est probablement Jésus Christ qui l'a inventé.
(Ma mère est récemment tombée dans une folie mystique qu'elle trouve sans doute de bon goût pour une femme de son rang, quoiqu'elle soit d'une noblesse très inférieure à Aleksandr, mon père. Et je suis à peu près sûr que Jésus existe aussi chez les orthodoxes.)

« C'est très bien l'opéra russe ! » je m'insurge avec habitude, « oui j'ai tout dans la voiture. Dans ma voiture. »

En quittant NY il a fallu se rendre à l'évidence : on ne pouvait pas se passer de bagnole plus longtemps, donc j'ai cassé ma tirelire, et j'ai acheté une Mini nerveuse, à essence, tout l'inverse de ce qu'aime conduire Niilo, qui s'est donc arrogé un autre véhicule.
Et j'dois dire que quand je débarque en ville dans la Mini rouge pute, avec Nasdrovie le spitz nain blanc sur la place conducteur, ça pose de suite un personnage !

« Vous avez des douches qui fuient dans la marine royale ? Scandale ! Me rappelais pas de ça sur la base. »

Y a beaucoup de trucs dont j'me rappelle sur la base. Mais pas de la douche, bizarrement.

« Je peux éventuellement essayer mais ça me les rend poisseux et ça sent vraiment une odeur bizarre quand on les fait cuire. J’ai des cheveux compliqués. »

Et l’odorat avec, Niilo.

« Oui je me doute bien que ce n’est pas dans la mienne que tu as laissé ça. Quoique j’ai retrouvé un de tes CD qui font boumboum dans ma boîte à gants, ça doit dater du moment où on est allés chercher les meubles. J’ai failli le jeter et je me suis dit qu’il te manquerait. »

Bien entendu tu plaisantes ; tu es bien trop écolo et respectueux des affaires des autres pour balancer un CD même si sont gravées dessus des chansons qui t’évoquent tout au plus de lointains passages dans des raves party quand tu avais la moitié de l’âge que tu as aujourd’hui. Dans le pire des cas ledit CD aurait été accroché à l’une des branches du bouleau qui se trouve dans le jardin pour effrayer les oiseaux, mais clairement pas à la poubelle.

« En même temps j’ai fait en sorte que tu te rappelles d’autre chose. »

Alyosha et toi, pour de nombreuses choses, vous situez de part et d’autre du spectre. Tu as rarement rencontré de duo d’âmes plus opposées que les vôtres. Mais il y a une chose sur laquelle vous êtes bien d’accord, et tu espères que vos corps vont être d’accord longtemps avec la question également, sinon il faudra vous rabattre sur autre chose. Les chiens, ou les plantes, ou l’exubérance des voyages dans des contrées porteuses de mythes franchement flippants.
Pas de quoi faire tenir un mariage aussi bien que le sexe nous sommes bien d’accord.

« Bon je ne suis pas convaincu » finis-tu par déclarer en te redressant « mais nous verrons bien à l’usage et avec les meubles tout autour et les décorations au mur je pense que ça fera un ensemble et que je m’y ferai. » assures-tu avec ce merveilleux air de personne adaptable à toute situation.

Par contre les réparations de la douche ne se feraient pas toutes seules et tu comptes bien t’y mettre dès maintenant, car tes membres raidis se souviennent encore de la promenade sur la pluie glaciale dont tu viens de rentrer.

« Je vais aller m’occuper de la douche, je gèle. Qu’est-ce que tu as fait de la caisse à outils au fait ? » demandes-tu en rangeant la tablette.

J'ai un haussement de sourcils muet et ça les gars, c'est une preuve d'amour parce que d'habitude je me serais pas privé de faire remarquer que c'est pas ses cheveux qui sont compliqués, mais lui avec ses cheveux, ce qui est bien différent. Je suis sûr que s'il se contentait de foutre de l'huile d'olive sa crinière serait tout aussi merveilleuse qu'elle ne l'est maintenant, parce qu'il fait tellement gaffe à ce qu'il bouffe que de toute manière ses tifs poussent sans la moindre entrave.
Mais d'un côté, dans la famille Dahl alias « nos cheveux sont nos totems » je ne suis qu'une pièce rapportée et je ne crois pas que mon avis compte réellement. (Ce qui est bien dommage parce que tout le monde pourrait profiter de mon avis, en tout cas c'est ce que je pense.)

« Boarf, moi j'aime bien le gel de lin. »

Forcément. Je m'en sers comme lubrifiant, ça aide à me rendre le produit sympathique – oui je sais je suis solidement obsédé, enfin d'un autre côté j'ai été acteur X et prostitué et on ne fait pas ce genre de boulot quand on est pas un minimum porté sur la chose.
Et moi ben... c'pas un minimum que je suis porté sur la chose ! C'est donc totalement pour ça que j'ai un sourire qui creuse ma fossette quand il fait allusion à cette belle base militaire (j'exagère totalement parce que c'était pas beau, non) dont j'ai de bons souvenirs malgré 1/ les regards en coin de ses collègues qui se demandaient qui j'étais au juste et pourquoi j'avais cette allure-là 2/ le fait que j'ai passé 15j à ne discuter qu'avec lui, Ragnarok et Sobaka parce que personne ne décrochait autre chose que du norvégien !
A l'époque je savais même pas commander une bière, ce qui est avantageusement le cas maintenant ; en 3 ans j'ai pas eu énormément le temps de me pencher sur l'apprentissage du norvégien on en conviendra, mais ça c'est parce que je préfère me pencher pour autre chose (ça va ça va, je suis hilarant).
Tout le monde aura donc compris pourquoi j'ai l'oeil qui frise, manifestation physique de contentement un peu mise à mal quand Niilo annonce que ma décoration révolutionnaire le convainc pas ; ce qui était prévisible parce que nous n'avons pas du tout les mêmes goûts. Niilo aime la rigueur décorative toute nordique et le hygge. Moi j'aime les trucs expérimentaux, de préférence un peu pétés du casque, et majoritairement les choses inconfortables, il n'y a qu'à voir comment je me fringue.
Oui je sais on se demande sur quels points on se ressemble à la fin...

« … tu crois que c'est trop moderne pour une auberge insulaire, c'est ça ? »

Il n'a rien dit de tel mais t'en fais pas dans ma tête j'ai déroulé un tas d'arguments qui vont contre ma vision de l'auberge design que j'ai en tête, et qui pourraient totalement se justifier. J'en suis à la synthèse des deux points de vue là – ouais je sais je réfléchis trop vite dans la vie. Je pars donc dans un tourbillon de réflexions inquiètes. Ciel et si je me plantais ?

« Hmmm », je réponds à la question de la douche qui à vrai dire ne me viendra à l'esprit que ce soir quand ça sera à moi de vouloir me doucher. « Je sais plus trop, euh, t'as regardé sous les escaliers ? »

Ah non mais j'ai jamais dit que je rangeais de façon logique hein.