La pluie c'est des miettes de nuages. || Niisha

« Dans tes cheveux ? J’en suis pas certain. »

De mémoire le gel de lin vous sert plus à autre chose, genre, plus bas. Si tu ne t’en plains pas – quoique tu dois faire régulièrement attention à bien noter la date à laquelle le gel a été ouvert pour qu’il ne pourrisse pas dans la porte du frigo – tu as plus de doute concernant tes cheveux qui ont leur petit rituel bien à eux selon les cycles de la lune, les saisons et les sabbats. Et ta mère, Kylli la fée, n’a jamais mis de gel de lin dans ses cheveux.

« Je pense, oui. Mais en même temps si on se fondait parfaitement dans le décor ce ne serait pas une bonne chose non plus. Je pense qu’on perd moins du temps à être nous même et à importer la culture qu’on connaît bien pour redessiner le paysage, qu’à essayer de copier la leur sachant qu’on est là depuis un mois. »

Et donc que de la sorte vous allez parfaitement vous planter ce qui sera plus irrespectueux qu’autre chose. Il n’y a rien de plus ennuyant que des gens qui essaient de se donner un genre et qui échouent lamentablement parce que ce n’est pas leur genre, justement.

« Ecoute, fais comme tu l’entends » il l’aurait fait de toute façon « et nous verrons. Si on a pas de clients à mon avis ça n’aura pas grand-chose à voir avec la peinture. »

Tu délaisses ta tasse de café dans le lave vaisselle qui lui ne fuit pas du tout dieu merci pour aller effectivement sonder l’obscurité du dessous de l’escalier où comme dans le reste des lieux vous calez un peu tout ce que vous pouvez en désordre tant que ça débarrasse le passage – c’est depuis que tu as failli faire une chute terrible qui aurait pu t’être fatale alors que Alyosha avait eu la bonne idée d’abandonner des tréteaux derrière lui en passant du coq à l’âne dans ses listes de choses à faire, comme c’est le cas en permanence. Récupérant la caisse à outils, tu disparais à l’étage.

Deux-trois coups de clé à molette et un joint et un flexible changés plus tard, l’eau s’écoule naturellement, proprement et sans transformer la salle de bains en piscine, ce qui on en conviendra est une excellente chose. Tu descends ranger la caisse à outils sous l’escalier puisque c’est apparemment sa place attitrée pour toujours et à jamais.

« Ca marche, j’ai juste besoin de redémarrer la chaudière et on devrait pouvoir prendre des douches chaudes et qui mettent pas de la flotte partout, n’est-ce pas merveilleux ? »

« Ah dans les cheveux si j'ai essayé c'est totalement par hasard », je commente rêveusement, les pensées dirigées sur tout autre chose que l'état de mes tifs ; en outre je suis beaucoup moins compliqué que mon mari sur la question capillaire, parfois je les lave même avec le gel douche.

D'un autre côté comme je n'ai absolument pas la prétention de concurrencer Raiponce niveau longueur, ce que des fois je soupçonne mon mec de faire, ça n'est pas bien gênant. Je ne parle même pas de ma belle-mère qui vu la chevelure qu'elle se paye peut sans doute parler de ça durant des heures et des heures ; et j'ai beau être superficiel, ça passe ailleurs que la question des cheveux. A vrai dire, je suis plus nerveux à l'idée de me planter dans la déco alors qu'il y a seulement une poignée de minutes j'étais totalement sûr de mon fait.
J'écoute beaucoup trop mon mec même si au final je fais toujours comme moi je pense, c'est dingue. Heureusement, Niilo – qui sait très bien cultiver sa propre tranquillité manifestement – me dit de faire comme je pense, ce qui aurait été fatalement le cas nous le savons tous les deux, en me disant qu'il vaut mieux être soi-même et toutes ces conneries qu'on entend à la fois dans les cours de yoga et dans les téléréalités.
J'acquiesce.

« Au pire on trouvera un nouveau type de clients, c'est pas avec mon accent russe et ton allure toute nordique », j'aurais pu parler de son anglais dégueulasse mais figurez-vous que j'aime très fort mon mari et que si on me demande l'anglais dégueulasse fait partie de ses qualités intrinsèques ! « qu'on passera pour des locaux. Autant miser sur le design, je suis sûr que ça ne plaît pas qu'à moi ! »

Des fois j'me demande. Mais c'est pas possible que ça ne plaise qu'à moi, il doit bien avoir d'autres personnes de goût sur cette pauvre Terre. Niilo trouve la caisse à outils à l'endroit où j'ai suggéré sa présence – soit-Il loué pour les petits miracles – et moi je continue de tester des configurations sur la tablette en jouant avec les dog tags que j'ai autour du cou, réceptionnant de temps en temps un chien aboyeur dans les jambes.
C'est encore des citadins ces bestiaux, le moindre coup de vent et ils gueulent, j'espère que ça leur passera rapidement.
Quand Niilo redescend, la luminosité a baissé mais je suis toujours planté devant ma tablette, un coude appuyé contre le plan de travail en bois brut que je me suis proposé de remplacer par de l'acier brossé, qui doit être installé d'ici une poignée de jours.

« Si c'est génial chéri », je réponds un peu distraitement, ce qui est injuste puisque je l'ai vraiment écouté. Je me sors de la contemplation de la tablette qui est largement déconcentrante et absorbe toute mon énergie, pour porter un coup d'oeil bleu sur lui. « On a toujours du gommage à la mangue, quelque part ? »

Comment ?
Bien sûr que je le provoque. A quoi ça sert d'être marié avec un si superbe spécimen mâle si c 'est pas pour le chauffer de temps en temps ?!

Tu comprends qu'une fois de plus ta manière directe de présenter les choses n'est pas passée comme une lettre à la poste avec Alyo puisqu'il te répond aussi distraitement que si tu l'avais réellement contrarié… Mais il reprend rapidement ses réflexes d'allumeur ce qui signifie que tu ne l'as pas angoissé tant que cela ou que si tel est le cas au moins il ne t'en veut pas.

-Mh, je ne sais pas c'est toi qui t'es occupé de tout emballer.

Vous êtes à vrai dire un peu partis à la sauvette du Parking du Bronx vu ce qui vous courait après en termes d'emmerdes et avez par conséquent laissé un certain nombre de choses derrière vous pour ne partir qu'avec l'essentiel. Les deux jungles ayant pris feu dans vos derniers affrontements au moins avez vous été libérés de la contrainte des plantes mais Alyosha ne serait parti sans ses livres et la plupart de ses fringues sans oublier bien sûr les animaux. Habitué à foutre le camp dès que possible avec le contenu d'un sac sur le dos tu ne t'es pas attardé dans votre précédente salle de bains et si Alyosha ne l'a pas fait à ta place c'est probablement cuit pour cette délicieuse odeur de mangue reliée à tant de souvenirs.

-Le carton est dans la salle de bains. Tu n'as qu'à aller vérifier et éventuellement m'y attendre ? Sinon on peut aller visiter le centre ville. Je suis sûr qu'à cette heure certains artisans sont encore ouverts et peut-être que certains vendent des cosmétiques.

Ce n'est pas Lush mais après tout!
Tu passes derrière Alyosha en prenant soin de tapoter son cul moulé dans un de ses jeans un peu trop serrés qui doit dater de son adolescence et qu'il garde avec lui même s'il se déchire de partout et enjambe Ragnarok venu rapporter un jouet en fanfare pour atteindre la chaudière. Tu en ouvres le clapet pour la régler et actionnes le disjoncteur. Un déclic se fait entendre et avec lui le bourdonnement salvateur de l'eau qui chauffe.
Hallelujah.

Le souci c'est que justement j'ai tout emballé et je me rappelle plus vraiment ce que j'ai pris ou pas, d'autant que c'était à ce moment-là légèrement l'affolement et que je n'ai pas trop fait gaffe ; j'ai surtout fait des cartons. À la chaîne. En prenant l'essentiel – enfin ce que j'estime être l'essentiel, donc oui le semblant de bibliothèque que j'avais constitué à NY je l'ai emballé, j'ai pris les quatre cinquièmes de mes fringues et c'est pas peu dire parce que j'en ai énormément... ça plus les affaires des chiens, on était déjà pas mal chargés quand on est partis, et on aurait pas dit un déménagement fait dans la précipitation.
D'un autre côté je vis dans la précipitation... Bien sûr que j'y suis résistant et efficace une fois sous pression !

« Je crois bien que j'ai fait au moins un carton de salle de bain. Ça m'étonnerait que j'ai abandonné tant de trucs derrière nous. Ou en tout cas pas tous mes gels douche Lush. »

Personne ne m'a jamais dit qu'il fallait que j'arrête d'en acheter autant, résultat j'en avais une sacrée collection. Il faut que j'aille vérifier dans les cartons mais j'ai pas pris le temps de tout ouvrir encore, parce que selon Niilo, ça fait beaucoup de poussière. J'ai suivi son avis de mâle alpha qui connaît les travaux – moi c'est pas trop, trop mon truc vous aurez peut-être capté – et j'ai gardé pas mal d'affaires dans les cartons parce que si je retrouve de la poussière sur mes costards trois pièces qui valent quatre chiffres, je sens que ça va me gonfler.
Et personne ne veut avoir un Alyosha saoulé dans les pattes, foi de russe blanc !

« D'ailleurs ça m'étonne de pas avoir pris tes machins pour cheveux... c'était encore des potions biodégradables express, c'est ça ? »

Non mais je sais ; quand j'en parle on dirait que je me fous de sa gueule, mais pas du tout. Je suis très respectueux de la façon dont il prend soin de sa crinière, j'ai même regardé des tas de vidéos sur YouTube pour apprendre à faire des tresses compliquées qui permettent de ne pas casser les cheveux, alors que j'ai les cheveux courts, tout ça pour lui !

« Peut-être, oui... »

J'ai un souffle amusé alors qu'il me flatte le cul d'une main large, l'observant qui va remettre en route l'eau chaude comme l'homme fort qu'il est. J'ai sans doute l'expression grave trop douce du mec totalement entiché de son partenaire, et ce même s'il est en train de faire un truc aussi con que de remettre la chaudière en marche ; j'aime le fait qu'il s'en occupe avec son air sérieux de nordique.

« J'vais aller vérifier dans la salle de bain, plutôt. Je suis quasi certain de tout avoir emmené. A de suite ! »

Je laisse en plan la tablette, que Nemo vient squatter en mode poule, décidé apparemment à la couver, et m'échappe vers la salle de bain où bien sûr j'ai démarré le chauffage et où j'ai pendu une orchidée, qui était mon cadeau de bienvenue à moi-même dans ma nouvelle vie.
J'éventre le carton dans lequel j'ai rassemblé nos affaires de NY, et où j'ai calé les choses fragiles entre deux serviettes de bain. Je déballe donc mille petits trucs avec les réflexions amusées ou nostalgiques qui vont avec, genre « ah c'est vrai qu'on avait ça, aussi », assis en tailleur devant le carton ouvert.

Peu utilisée depuis votre arrivée à cause de dysfonctionnement évidents, la chaudière a baissé en pression et tu prends le temps de la faire remonter tout en servant d’arche d’attraction pour les chiens qui se courent après le pompon – un jeu sans fin puisqu’ils en sont tous les deux pourvus. Sobaka s’est vautré près du radiateur dans un large panier rectangulaire dans lequel est étalé un plaid tandis que Norne et Nell montent religieusement la garde devant la porte comme si quelqu’un allait vous rendre visite d’un moment à l’autre. NewJ et Nemo qui manquent à l’appel ont sans doute du monter à l’étage avec Alyosha.

Puisque vous êtes partis pour y rester un moment et parce que la lumière descend maintenant que l’après-midi touche à sa fin, tu t’occupes de verrouiller la porte et d’ouvrir une à une les fenêtres pourvues de vieux volets en bois qu’il faut rabattre ensemble dans un ordre précis. La pluie s’est intensifiée et le vent abat désormais de violents rideaux de flotte presque opaque sur toute l’île qui s’est ourlée de brume automnale. La campagne s’est plongée dans une obscurité vaporeuse où point, au loin, la lueur tremblotante d’un phare. On est bien chez soi, c’est moi qui vous le dis.

« Bah alors, tu as l’intention de tout déballer ce soir, ici et maintenant ? » tu t’annonces.

Tu pénètres dans la salle de bains, complètement nu, une boule de vêtements sales et humides dans la main qui se retrouve bientôt dans un panier à linge sale posé pour le moment sous le lavabo en attendant une meilleure place. Tu pousses le bras du mitigeur du côté de l’eau chaude avant d’actionner l’eau à fond et de disparaître dessous par habitude militaire alors qu’elle n’a même pas encore atteint une température acceptable pour le commun des mortels. Ta main tire un rideau de fortune hideux et qu’il faudra changer pour ne pas mettre de l’eau partout.

« Alors, tu as trouvé quelque chose d’intéressant ? »