so we can stay alive - - faye

@faye winters

Il est vingt-deux heures passées lorsqu'elle traverse la tendre obscurité des landes pour effleurer les lumières de la côte est. Elle fuit le silence dans lequel ses pensées tournent en boucle. Elle cherche à échapper aux morsures des regrets qui lui colle à la peau. Raturer les traits de son visage. Démolir les lettres de son prénom. Étrangler l'audace de sa solitude. Elle aimerait dissimuler sous le tapis tous les morceaux volés en éclats de sa famille. Marcher dessus puis les réduire en poussière. Comme si rien ne s'était passé et que les six dernières années n'étaient, au final, qu'un cauchemar duquel elle finirait bien par se réveiller. Mais l'indifférence était bien trop réelle, tout comme les bleus dont se colorait sa vieille âme usée. Svetlana n'avait pourtant que trente-trois ans et devant elle, la vie s'étalait à perte de vue. Elle en avait simplement perdu le goût et puis le souffle. Éperdument, les ventricules de son cœur cherchaient l'étincelle de nouvelles lueurs. Absolument, il lui fallait en finir avec la fadeur ; quitte à dépouiller des amours innocentes, quitte à retrouver les vices qu'elle avait toutefois abandonné pour lui. L'effervescence de la vie n'avait pas de prix. Et si c'était pour s'en nourrir, tous les risques lui étaient permis.

Dans le nightclub, la foule et les ombres s'entremêlent. Les lumières artificielles, quant à elles, lui étaient aussi familières que la moiteur dont l'ambiance s'imprégnait progressivement. Elle se souvenait de San Francisco, de Los Angeles, de New York ; de toutes ces grandes fourmilières humaines à travers lesquelles elle s'était imaginée prédatrice. Rien que pour calmer son inexorable faim de tout. Le parfum de ses années sauvages lui revenait naturellement. C'était comme si elle revenait en arrière, qu'elle remontait le temps, et qu'elle se blottissait une nouvelle fois au creux des tumultes de sa liberté esseulée. Au fond, peu lui importait l'isolement tant qu'elle pouvait préserver le contrôle. Retour à la case départ. La robe est noire ce soir. Elle a délaissé le rouge depuis qu'à coup de flammes ses craintes ont tout détruit. Depuis que l'incendie s'est évanoui. Ainsi, elle se souvient des cendres et du froid. Ainsi, elle comprend mieux la valeur et l'importance du feu. Elle espère en croiser la chaleur au creux d'un regard ou au détour de ces trop nombreux visages. En fait, elle attend les caresses d'une énième révolution. D'une tempête. De n'importe quoi. Pourvu qu'elle puisse abandonner cet ennui qui, doucement, se métamorphose en effroi.

Mais dans la masse agitée, elle reste toujours seule. Son corps avait beau se mouvoir et s'accrocher au hasard, la musique et les chaleurs inconnues n'ont pas suffit à la distraire. Il lui en fallait davantage. Il lui fallait une connexion, un flirt d'âmes, et d'authentiques illusions d'ivresse... Elle était en quête de frissons, de sensations, ou de mystères. Alors elle s'est détachée de la piste de danse pour finalement s'échouer au comptoir et se commander un cocktail. À ses côtés, la silhouette d'une femme se dessinait. Si Svetlana se concentrait suffisamment, elle pourrait presque deviner son parfum. Discrètement, elle l'observait avec attention, cherchant à savoir si elle était seule ou accompagnée. Mais les minutes passaient et personne n'arrivait. « Need company ? » Après tout, Svetlana n'avait rien à perdre en lui proposant sa présence puisqu'elle n'était pas mieux entourée que son interlocutrice. C'était une bonne raison de faire le premier pas, non ? Elle sirotait son tequila sunrise en contemplant les traits de la brune. Belle était un adjectif qui lui allait bien mais ce n'était pas celui qui l'intéressait le plus. Et si elle le lui permettait, l'allemande se ferait un plaisir de lui en trouver davantage.