les maux bleus

les maux bleus ft @jesse langlois

sur le palpitant s'abat la pressure ;
le bruit des vagues, cruel ! agite les fêlures.

comme si c'était hier que résonne le rire au large, comme si c'était hier que trône l'envie simple d'enserrer sa main. foutus lendemains ! eux lui avaient tout pris, tout volé ne laissant contre sa joue que le fantasme d'un baiser salé (bel espoir d'être pardonné). y a le passé à tous les coins de rue, ariel tente de ne pas les entrevoir en se dirigeant vers le port. voilà! voilà le lieu où son destin lui impose de faire face à ses torts; à ce visage fantôme dont les traits n'ont jamais su s'effacer, figure fugace qu'à londres elle croyait parfois entrevoir dans la moue d'un inconnu, dans la malice d'un rire d'enfant, dans un tableau aux teintes nostalgiques.

il est là - qu'hurle l'esprit. les yeux caressent les barriques, observent la houe et guettent les passants. le pas ne perd guère dans son allure alors qu'elle gravite sur les pontons, ariel retrouvant l'odeur du bois mouillé (délice). les bateaux sont rentrés depuis peu.. jesse ne peut avoir fui sans même savoir que la sirène va vers lui ? finalement! sa silhouette. de dos, reconnaissable pourtant.

rien n'est comme avant.

-"jesse ?"

à attendre docilement qu'il se tourne, ariel tente d'arborer ce sourire soleil qu'autrefois elle lui offrait sans condition. le corps tremble presque en croisant le regard du jeune homme qu'elle avait quitté presque encore adolescent.

-"je.. c'est moi."

moi pour définir un gros néant - un abandon, mille et un changement.

-"je te dérange pas ? t'as un moment pour discuter ?"



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les maux bleus
@ariel cusack

la matinée passée sur le pont, aspergé d'eau salée, les bras tirant sur les filets pour les remonter. temps de merde et ciel noir, ça t'a semblé durer une éternité. puis c'est le retour au port, enfin, la houle de la criée, le bateau soudainement déserté. t'es laissé seul pour ranger les filets. ça te gêne pas. dans le calme qui règne après l'agitation de la rentrée de pêche, tu t'installes sur le ponton, les doigts agiles et les pensées fertiles, regard qui se perd à l'horizon.

mais y a ton prénom qui s'évapore dans l'air, t'arrache à tes pensées, déchire le canevas de ton imagination. tonalité cristalline, intonation fantôme. t'as pas envie de te retourner jesse, mais faut bien, faut bien parce que sinon tu vas te mettre à pleurer, à rêver, à repenser au passé.

alors tu te retournes, et y a ton souffle qui se prend dans ta gorge, même si tu savais qu'elle était là, sur l'île, même si tu sais que c'est elle, qu'elle est là, qu'elle est réelle. que c'est pas un rêve.

le regard qui parcourt la silhouette, éperdu, les cheveux noirs, les yeux bleus, le corps de sirène que tu pensais perdu. tu l'avais crue évanouie, disparue dans les flots comme les créatures de légende, évaporée comme l'eau de tes larmes pour ne creuser qu'un sillon salé sur tes joues. morte, peut-être, même si t'as jamais voulu l'avouer. tu lui as trouvé toutes les excuses du monde, tu t'es imaginé le pire. mais elle est là, sourire soleil et regard incandescent, comme avant. elle est là et elle te demande si t'as du temps.

tu savais qu'elle était de retour ici, parce que kai et ses grands yeux, kai et son indifférence cultivée, kai et son impartialité, kai qui t'a tout dit et elle ici, et tu sais pas si t'as envie de la serrer dans tes bras ou de lui gueuler à la figure, de lui tourner le dos ou de la balancer à l'eau. t'étais préparé pourtant, tu te l'étais juré, tu le pensais.

le cœur abîmé, le cerveau usé d'avoir imaginé sa silhouette partout où tu passais. les yeux fatigués d'avoir regardé l'horizon, tous les matins, tous les soirs, tous les étés. la peinture qui s'écaille sur les vestiges de sa beauté que t'as tant espérée. "ariel." ça sort en un souffle. ta sirène, ton étoile. le couteau et le sel dans la plaie qui vient de se rouvrir. "qu'est-ce que tu fais ici ?"

les maux bleus
@ariel cusack

la question comme une gifle, queue de sirène qui claque sur les vagues pour asperger, amuser, mais ne fait que tremper de la tête au pied. regard perdu parce que tu comprends pas jesse, tu sais pas pourquoi elle fait ça, pourquoi elle répond pas. elle est venue te chercher elle-même, après tout. c'est elle qui est venue de dieu sait où, elle qui se tient sur le pont, elle qui a prononcé ton nom. c'est elle qui te doit des explications.

mais elle dit rien la naïade, elle glisse sur un nuage pour se rapprocher, pour éviter, et t'arrives même pas à bouger. ensorcelé, acculé, charmé, le cœur qui bat la chamade et les joues qui rosissent d'émotion. heureusement que tu peux compter sur la fraîcheur de cette fin janvier pour justifier les chamboulements qui risquent de te dévoiler. la tête qui se baisse d'instinct pour éviter d'être démasqué, y a ton cœur qui se serre et tes sourcils qui se froncent alors que tes yeux tombent sur ton travail inachevé.

t'as les lèvres boudeuses et elle te propose son aide comme une branche d'olivier, mais t'es pas sûr d'en vouloir jesse. ça sent plutôt la ronce à plein nez et t'as pas envie de te piquer. elle attend pas ta réponse pourtant ta déesse, elle s'installe et elle se met au travail, tout en délicatesse. elle t'a toujours paru hors du temps, les cheveux bruns qui flottent au vent et le regard océan, comme l'héroïne d'un conte où tout se finit pas en ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. parce que comment ça pourrait finir bien, cette histoire tragique au goût amer de larmes salées ? ariel c'est ta selkie, piégée pour un temps mais incapable de rester, toujours retournée à l'océan.

t'as peur de poser les yeux sur elle. t'as peur qu'elle s'évapore comme un mirage au soleil. mais cupidon se moque bien que tu la regardes droit dans les prunelles ou pas. y a sa flèche qui te transperce comme la question qu'elle te pose, le cœur qui bat comme s'il s'était arrêté, un instant, toutes ces années, et qu'il attendait que ces mots-là pour repartir. mais y a une petite voix qui reste, une partie de l'organe nécrosé que tu retrouveras sûrement jamais, et c'est elle qui parle quand tu murmures "pourquoi t'es partie ?" pourquoi t'es jamais revenue ?

ça brûle - cette distance imposée, ses regards qu'il se refuse à lui lancer. les doigts de la nymphe s'agitent, avec précision et application. elle ne voudrait pas lui donner une autre raison de râler en emmêlant les filets.. puis c'est le silence qui s'impose (ô sous le ciel pourrait pleuvoir quelques amours moroses !). lui qui ne lâche pas un mot; elle qui craint d'en dire trop. instant figé mais ariel, vile ! ne peut s'empêcher d'en profiter. de ce calme avant la tempête, de sa présence à ses côtés. ça la gênerait pas de rester comme ça à regarder la mer. ça la gênerait pas de contempler le ciel toujours avec lui; même si jesse reste amer (toute une vie).

-"pourquoi t'es partie?"

à elle de maintenir les lèvres closes - pensées s'agitent, trop fort ! et avec la tête c'est le palpitant qui cogite. y a des phrases trop difficiles à prononcer; des sensations qu'elle ne parviendrait même pas à expliquer. des erreurs à assumer… cruelle action de les avoir privé de nouvelles - de la nouvelle ! d'un décès qui à brûlé ses ailes. s'ils l'avaient su, ariel doute pas qu'ils seraient tous venus à l'enterrement. que jesse, jesse et sa gentillesse à en crever il lui aurait tenu la main à n'en plus la lâcher.

mais elle a pas trouvé la force
rien que la force
d'accepter; de se confronter à la réalité.

'papa est décédé'.

-"je pouvais pas revenir. c'est compliqué tu sais… je voulais le faire. mais j'arrivais pas à monter dans l'avion. à chaque fois, chaque année j'ai acheté un ticket."

sensation de néant dans l'aéroport - rejoindre l'île lui rappelait trop sa mort.

-"tu crois que tu pourras un jour me le pardonner?"

(même si là;
tout de suite
je suis incapable de tout t'expliquer?)


@jesse langlois  

les maux bleus
@ariel cusack

chaque année. "chaque année ?" les mots murmurés comme un écho pour qu'ils soient compris par ton cerveau. chaque année elle a essayé, chaque année elle était qu'à quelques heures de toi, de tes bras, et chaque année elle a reculé. t'es sous le choc, les yeux écarquillés par l'immensité de la nouvelle qui vient de t'écraser. parce que si elle arrivait pas à remettre les pieds sur l'île de son enfance, sur l'île bonheur, l'île amour, l'île soleil, c'est qu'elle avait dû subir quelque chose de terrible. une horreur atroce dont t'as pas pu la protéger, dont t'as pas pu la rassurer. t'étais pas là pour lui tenir la main, essuyer ses larmes, apaiser sa douleur. et ça te brise un peu de l'intérieur.

sourire triste alors que tu recouvres sa main des deux tiennes, tes yeux bleus dans le regard océan de ta sirène. "y a rien à pardonner." parce que y a des choses qu'on peut juste pas avouer, des blessures trop profondes pour les montrer, et que tu serais incapable de la juger pour des raisons qu'elle seule connaît. l'important c'est qu'elle soit là, maintenant, selkie échouée qui demande qu'à renouer avec son amour passé.

le regard incapable de rester fixé à ses traits, qui se baisse de nouveau alors que tu te permets de lui avouer : "tu m'as manqué, tu sais." les joues qui rosissent violemment alors que tu retires tes mains des siennes, préférant enfoncer ton bonnet de marin sur ta tête et utiliser tes appuis pour te remettre debout. gorge raclée, tâche terminée, tu t'essuyes les mains sur ton pantalon avant de les tendre vers ta nymphe pour l'aider à se relever. "allez, on a fini ici. on va se balader ?" continuer à discuter ?

les maux bleus
@ariel cusack

elle rattrape ta main et c'est ton cœur qui se carapate, rate un battement. elle veut pas te lâcher, plus te lâcher, et toi ça te fait rougir, de désir, de plaisir, le paradis au bout des doigts. elle a les yeux d'or de la déesse du bonheur. l'artiste meurtri qui tend vers sa muse comme une fleur vers le soleil. dans ses yeux, c'est les portes du jardin d'eden qui s'ouvrent.

"mon endroit préféré c'est celui où je suis avec toi." rougissement violent des joues alors que tu laisses tes sentiments prendre le dessus, s'exprimer, te faire passer pour un adolescent trop pressé. mais t'y peux rien. tu retrouves ta jeunesse, ton amour, ton sourire, et tout ça parce que la jolie gamine est rentrée au port. rôles inversés d'un marin enamouré qui attend le retour de sa pirate qu'il a jamais pu faire rester.

et dans un coin de ta tête, ça se dessine, le plan fou pour pouvoir la garder avec toi à jamais. plan sur la comète et idée qui s'envole, rêve presque plus beau que la réalité de sentir sa paume contre la tienne après tant d'années. "mais on peut aller boire un verre au pub si tu veux ?" rattraper le temps perdu, les yeux dans les yeux, le désir ténu d'une nostalgie qui imprègne tous tes pores.

les pas qui vous mènent le long du port, et la réflexion ingénue de ta sirène, teintée de tristesse et de regrets pour un temps perdu que vous aimeriez tous les deux retrouver. sang d'encre brûlant d'une envie terrible de revenir en arrière, le sable du temps qui vous glisse entre les doigts et le sablier qui s'inverse que quand vos doigts s'entrelacent. "c'est vrai que ça doit être moins trépidant que londres."  

t'as jamais quitté ton île jesse, les yeux qui s'émerveillent et les doigts qui peignent les vagues, les mouettes, la lumière. les pieds qui ont jamais foulé la grande île, le continent, un ailleurs dont tu peux que rêver. mais t'es bien ici. dans ton petit monde, ta petite bulle contrôlée qui s'enrichit d'histoires au rythme des touristes saisonniers.

la main qui pousse la porte en bois familier, tu rentres dans l'atmosphère sombre et feutrée de ton pub préféré, l'autre main toujours dans l'étreinte de ton soleil. "tu veux boire quoi ?"