and I was catching my breath, barefoot in the wildest winter ; mara

Elle l'a attendue, au port. Lorsque la brume se distillait sur l'horizon, dévoilait les pavés les façades, lorsque les rues s'éveillaient – Faye s'est surprise à l'attendre. Les yeux glissés sur les silhouettes, paupières plissées pour la trouver elle. Mara. Et son rire qui résonne encore, ses joues rougies par le froid, le rythme bancal de ses pas qu'elle a essayé d'aligner sur les siens. Faye sait sa propre jalousie légitime. Parce que Mara est tout ce qu'elle n'est pas – et qu'elle possède tout ce qu'elle a perdu. Mais les contours sont flous, entre les qui et les pourquoi. Et elle n'est pas venue, Mara. Trois jours. C'est idiot, d'attendre, de compter, mais elle l'a fait, Faye. Et tant pis, tant pis pour le souffle un peu court qui lui fait serrer les dents et la confusion silencieuse qui lui chauffe les joues. Et il y a le bout cassé du carrelage, sur la paroi de la douche – Faye en trace le contour du bout de l'index. Elle y voit un dauphin, une baleine, peut-être, si on regarde de près, qu'on ajoute les fissures des autres carreaux à l'éclat qu'il manque. Elle y trouve quelque chose, là où elle n'y voyait qu'un morceau de plus d'une maison en ruines. Elle réprime un sourire, serre les mâchoires. Il y a la neige qui blanchit le jardin, le vent qui souffle contre la vitre, la vapeur qui flotte contre le plafond. Et plus rien. L'eau ne s'écoule plus qu'en un filet fin, le tuyau tousse sous une pression qui se heurte au vide et c'est le poing de Faye qui le fait taire d'un coup franc. 'Fuck. Fuck. Fuck.' Ça grogne dans sa gorge, sa respiration se durcit dans ses poumons. Elle est épuisée, encore, toujours. Il y a les fuites dans les chambres, la marche bancale des escaliers, le plafond qui s'écrase dans la pièce du bas, tout, tout, tout. La brune se hisse hors de la douche, s'enroule d'une serviette déjà humide, et s'assoit sur le rebord de la baignoire en soufflant. La mousse du shampoing glisse sur son front, elle en ramène les gouttes sur ses cheveux d'un geste las, courbe l'échine au-dessus du tapis. Dix secondes de lamentation. Dix, et seulement dix. Ensuite, elle avance. Toujours.
Le froid lui saisit la nuque alors qu'elle entame le chemin de terre dont les bordures ont disparu sous une fine couche de neige. Faye avance, le pas incertain, l'allure instable sous son manteau épais dont elle garde les pans repliés sur sa poitrine. La neige accroche ses cheveux mouillés dont elle a rapidement essuyé la mousse. It's a terrible idea. Ça tourne en boucle dans sa tête, cogne contre ses tempes, lui coupe une inspiration alors que la maison des Graham se dévoile un peu plus loin. 'Shit.' Elle hésite à faire demi-tour, parce que l'idée est mauvaise, l'idée fait mal. Parce qu'entre ces murs il y a les souvenirs, et Warren, et les vestiges d'une histoire douloureuse. Et il y a Mara. Le poing rougi par le vent glacial se suspend contre la porte. 'What am I doing ?' Faye marmonne et le nuage de son souffle s'écrase contre le bois de la porte. L'idée est mauvaise – mais c'est la plus raisonnable. Alors elle frappe, elle frappe et elle attend, et c'est elle qui ouvre, qui la regarde de ses yeux verts et de son sourire qui ne se défile jamais. 'Hi.' Faye se balance sur ses pieds parce que le froid lui scie les pommettes. 'My shower broke. I don't know what's going on, I'll fix it later, but, well, I was kind of in the middle of washing my hair when that happened, so I was left there with shampoo still on and all, and I really didn't want to come here – to bother you, and I would've gone to someone else but it's snowing, and I don't want to have a car accident just because I need to have a shower.' Elle inspire à la fin du monologue, grimace doucement. 'Do you mind if I use yours ? I won't be long, and I'll get you scones to thank you.' Le sourire est confus et les yeux virent sur le couloir au-delà de la silhouette frêle de Mara. C'est lui qu'elle cherche – Warren, ce sont ses yeux bleus qui hantent encore ses insomnies depuis leur conversation au bord de cette foutue route qu'elle cherche dans l'obscurité de la vieille maison.

Ils sont bien loin, ces matins d'hiver où son père la réveillait dans l'euphorie des premiers flocons de neige. Ceux dont il faut profiter parce que rien n'est sûr et que, souvent, les choses ne tiennent pas. Ceux qui se transforment vite en bonhommes informes jonchés de carottes et boutons dépareillés, ceux qui auront, peut-être, la chance d'une vieille écharpe ou d'un bonnet. Ils sont loin mais pourtant, Mara s'est surprise à rejoindre les enfants ces derniers jours dans les confections de ces êtres éphémères dans la cour de l'école. Parce qu'ici, la neige reste et persiste, elle ralenti l'île sans la bloquer et met sous cloche un hiver d'une douceur rare. Elle s'est perdue dans le froid, Mara, dans les bouts de nez rouges et les mains trop fraiches, dans la quiétude d'un feu qui crépite et d'une tasse de thé qui réchauffe, dans la douceur des chocolats chauds et des plaids doux. Tout est passé d'une vitesse folle depuis ce jour. Cette journée avec Faye, cette soirée avec Ren et elle, au milieu du chaos qu'ils ont été, ne sait pas vraiment quelle est sa place. L'amitié naissante lui est précieuse mais l'impression de trahison est forte au lendemain des confidences de l'homme. Celui qu'elle doit aimer, doit défendre, celui qui a blessé. Elle comprend mieux maintenant la distance que la brune a pu mettre entre elles. Mara Becker, le souvenir constant d'une tromperie qui entaille le cœur. Non, elle n'a rien à voir dans cette histoire. Mais à sa place, elle aurait probablement réagi de la même manière. Alors, contre l'envie maladive d'aller frapper à sa porte pour continuer leurs discussions, l'anglaise a préféré l'espace que Faye leur connait bien. Le temps fera le reste, s'est-elle dit. Le temps fera le reste.
Quand la porte s'ouvre sur sa silhouette tremblante, son sourire s'étire dans un automatisme qu'elle ne connait pas. Le froid s'engouffre dans la maison et Faye parle et parle et pour une fois, c'est Mara qui n'a pas le temps d'ouvrir la bouche, alors elle écoute, son visage réagit à toute cette aventure avec beaucoup trop d'énergie mais déjà, elle tend la main pour attraper le poignet froid de la brune et l'attirer à l'intérieur. 'Come on in before you freeze to death.' elle les voit, ses pointes de cheveux mouillées et ses mains s'activent sur ses bras crispés alors que son pied fait claquer la porte d'entrée. Quand elle se rend compte de la proximité qu'elle leur impose, Mara, relève les yeux et lâche un 'sorry' sourd, récupérant ses mains. 'He's not here. Ren, if that's what you're wondering. He's not.' elle ne sait pas exactement où il est et parfois, elle oublie même de poser la question. Elle sait juste qu'il n'a pas envie d'être ici. Et elle a vu ses yeux bordés de craintes passer le couloir en revu ; elle imagine le courage qu'il lui a fallu pour venir frapper à cette porte. Ou bien, peut-être... peut-être que c'est lui, qu'elle est venue chercher. Mara ne sait pas. Elle ne sait plus. 'Come, it's warmer by the fire.' sa voix s'adoucit, soudain, et elle l'incite à la suivre d'un mouvement de la tête. Près du feu, les vestiges de ces activités qu'elle prépare pour les enfants, un livre ouvert vers la fin et le squelette d'une tasse de chocolat chaud longtemps englouti. 'I'll get you a towel and dry clothes, give me two minutes.' elle s'éclipse, traine derrière elle le plaid qui l'entourait encore quelques secondes plus tôt, laisse les marches craquer sous son poids alors qu'elle se rue à l'étage. Quand elle redescend, Faye ne semble pas avoir bougé. 'I put everything in the bathroom and started the heater so you won't get cold. Take all the time you need.' sa voix l'enveloppe d'une chaleur nouvelle alors que ses yeux trouvent sa silhouette un peu dure, un peu frêle, près du feu.

La chaleur du couloir la frappe aux joues alors que Faye trébuche à l'intérieur. Elle connaît la maison, mais c'est différent, cette fois. Elle n'est pas à sa place, ici. Les murs ont été repeint, les photos changées – l'endroit a avancé. Après eux. Comme Ren, comme elle. Les paumes de Mara sont brûlantes sur sa peau, le contact léger, la douceur agréable, elles laissent des marques vives alors que la blonde les retire, joues roses et yeux qui fuient. Faye lui offre un sourire maigre, de ceux qui disent it's alright, parce que ça l'est, parce qu'elle a envie de rattraper ses mains et d'en garder la chaleur dans les siennes. Le parquet craque doucement sous ses semelles, s'imprègne de la neige qui fond trop vite sur le bois. Faye avance dans le couloir, incertaine, nerveuse – le ventre grogne d'un trop dont elle ne sait plus ni l'origine, ni la fin. 'No, it's not…' Elle fait volte-face, trouve les yeux de Mara. 'Sorry. I don't want to make it awkward.' Entre eux, entre elles. Écorcher ces relations qui n'en sont pas. Flouter ces liens qui n'ont pas de sens. Le souffle s'échappe, soupire long du regret d’être ici. Mais Mara l'emporte dans un sillon tendre, alors elle suit, Faye, elle suit parce que le baume de son sourire apaise un peu des tourments dans sa poitrine. Dans le salon, il y a elle. Des morceaux de celle qu'elle est – de celle qu'elle connaît si peu. Pourtant, tout semble évident. Le tissu épais du plaid, le feu timide mais déterminé, l'odeur de chocolat chaud suspendue dans les poussières. Les livres éparpillés, les dessins d'enfants. Faye sourit doucement, crispe ses doigts froids dans ses manches. Elle entend les planches geindre sous l'enthousiasme de Mara, de ces pas pressés qui la caractérisent si bien. Le silence retombe, lourd, se remplit de sa respiration trop bruyante, et Faye retient son souffle parce qu'il semble s'infiltrer partout, partout, et qu'il n'a pas le droit. Elle n'a pas le droit. Sa main traîne le long de la cheminée, où les vieux vases semblent incrustés dans le bois, reflètent les lumières du feu en-dessous. C'est calme, si calme. L'odeur de Mara flotte dans l'air, réchauffe une maison qui l'a accueillie autrefois, et qui ne veut plus d'elle aujourd'hui. Et c'est normal. C'est l'effet du temps et des cassures. Des au revoirs et des oublis. La voix de Mara s'élève, tendre, et Faye se détache de la cheminée pour la rejoindre. 'Thank you. I'll be quick.' Elle hésite un instant, les mains au-dessus de ces vêtements qui ne sont pas les siens. Puis elle s'échappe, le pas retenu en même temps que l'air, jusqu'à cette salle de bain au carrelage un peu cassé sur les bords. L'eau est brûlante, la vapeur lui coupe la respiration, et Faye reste trop longtemps à fixer ce carreau dont la peinture est écaillée au centre, se perd dans le calme de l'endroit, l'intimité de cette pièce qui ne la connaît plus. Les vêtements de Mara sont étranges sur elle – le reflet que le miroir lui renvoie est trop lumineux pour être le sien. La laine rose du pull se fond dans la couleur de sa peau, contraste contre le noir de ses cheveux. Il y a quelque chose de différent dans sa silhouette, un peu de Mara, sans doute. Faye bat des cils et descend en silence jusqu'au salon. Il y a le corps de la blonde recroquevillé sur les coussins du canapé, son nez figé au-dessus des pages d'un vieux livre, et Faye ne peut s'empêcher de l'observer une seconde ou deux, de voler un peu de ce calme qu'elle dégage. Pour elle. Pour plus tard. 'I left the towels upstairs.' Elle se râcle la gorge et avance dans la pièce sombre. Ses doigts s'acharnent sur la couture de ce pull trop doux. 'Thanks, for the clothes. I'm not sure pink is my color, though. But it's very soft.' Elle se tient, un peu bancale, près du feu, les mains chaudes du sang qui pulse. 'I'll give them back to you as soon as I can.' L'inspiration est longue. Elle traîne le pas. Elle doit rentrer. Elle ne le veut pas, pourtant. 'What are you reading ? I haven't read a book in weeks.' Le rire est étranglé dans sa gorge, les lèvres plissées. Faye croise les bras sur sa poitrine, et puis elle reprend cette stature qui protège, redresse l'échine. Son attention s’éparpille sur ses affaires qu'elle rassemble vaguement. 'Em, anyway, I'll go home now, I don't want to bother you any longer.' Et ses yeux supplient sans qu'elle ne le réalise. I'll stay if you ask me to.

Elle prend de la place, Mara, une place qu'on ne lui donne pas. Elle s'impose et la réalisation a toujours un temps de retard, juste assez pour que la gêne s'installe, sirupeuse, qu'elle torde un peu ses sourires et voile un peu ses yeux. On lui a dit, pourtant, que sa spontanéité était parfois de trop ; après l'avoir trouvée charmante, elle finit toujours par envahir. Mais elle ne sait pas faire autrement. Elle ne sait pas faire autrement. 'It's ok. You guys have history. Pretending it never happened would be awkward.' la tendresse est là, pour cette histoire dont elle ne fait pas partie. Il y a Faye d'un côté, et celle qu'elle aurait pu être si Ren ne l'avait pas laissée derrière avec les miettes écrasées d'une histoire adolescente. Et Warren de l'autre, l'écorché trop sombre qui se mue dans ses remords. Et s'ils se laissaient du temps ? Peut-être qu'alors, ils verraient l'évidence, celle qui leur cri de se laisser une chance... et ça lui serre le cœur, un peu. Parce qu'elle est au centre et, qu'égoïste, elle n'a pas envie de s'en aller. Mara, elle s'est attachée à cet endroit, à ces gens, et si elle ne peut totalement être elle-même avec eux, elle l'est toujours plus que là-bas, dans cette ville trop bruyante, sur cette terre où les embruns se meurent sous les odeurs de pots d'échappements. Would I still have a place here if everything blows up ? Would you be friends with Theo, or Mara, or whatever my name will be after all that ? Le doute s'immisce et le frisson la prend alors elle détourne l'attention, monte à l'étage, s'occupe les mains et l'esprit. Quand elle redescend, son sourire est de retour. Jamais bien loin. Et le plus naturellement du monde, Mara reprend sa vie, le bruit sifflant de la tuyauterie en fond comme seule preuve de la présence de Faye sous ce toit. Elle se perd dans les lignes, ses lunettes glissants quelques peu sur son nez, quelques mèches de cheveux flottants dans l'air. Le sursaut qui la prend est presque imperceptible mais il est là, dans la surprise qui referme son livre un peu trop vite sans avoir marqué la page. Damn it. Elle tend le bras, le pose simplement sur la table basse avant de tourner le visage vers la brune. 'You pull it off.' ses lippes s'étirent dans un sourire alors qu'elle détaille le tissu de ce vieux pull sur la peau de la jeune femme. Bien sûr qu'il lui va bien. Tout lui va probablement très bien. 'No rush, I have plenty of things I'm not even wearing.' sa main balaye l'air devant elle comme pour signifier qu'elle s'en fiche parce qu'elle s'en fiche, de ces bouts de tissus. Ils ne sont que ça. 'To the lighthouse ? One of my dads favorites. You'd like it.' lorsqu'elle se lève, la blonde se rend compte de la maladresse de son assomption et ça lui empourpre les joues. 'If you don't already know it, of course.' elle se hâte un peu trop, plisse le front, s'excuse du regard. Ça lui rappelle à quel point elle ne connait pas celle qui se tient près du feu ; ça lui fait dire qu'elle veut en savoir plus, aussi. Elle s'avance d'un pas, croise le regard de Faye et elle sait, elle comprend, son sourire est tendre soudain. 'I already put the kettle on and cookies are baking. They'll be done in a minute.' sa main passe, distraite, sur son bras ; l'invitation est claire, Mara ne lui laisse pas vraiment le choix. Quand elle passe à côté d'elle pour retrouver la cuisine, elle se surprend à trouver l'odeur de son shampoing sur sa peau et c'est différent, c'est nouveau, ce n'est pas elle mais ce n'en n'est pas moins agréable. Éteignant le feu sous la bouilloire fumante, la blonde s'affaire dans cette cuisine qu'elle connait maintenant par cœur, trouve les tasses, les sachets de thé et c'est d'un naturel singulier. I'm at your place, I know. I'm sorry. Lorsqu'elle revient les bras trop chargés, il y a le four qui sonne et qui lance un spasme dans ses muscles ; la vague est inévitable, l'eau chaude vient s'abattre sur ses doigts alors que les tasses touchent la table dans un fracas faussement maitrisé. 'Damn it.' la brûlure n'est rien qu'elle n'ait déjà connu mais elle reste vive et Mara ramène ses doigts à sa bouche. 'I'm a mess like that, you get used to it.' qu'elle lâche finalement en relevant les yeux vers Faye, soufflant encore sur ses extrémités douloureuses. At least this time, I didn't break anything. Yet. 'Pick your tea !' d'un bon un peu trop enjoué, elle retrouve la cuisine, ouvre le four à la hâte et en sort ses créations un air fière au visage. Elle en revient quelques secondes plus tard avec une petite assiette garnie ; sans savoir que ses merveilles sont immondement trop salées. A gold star for trying. 'Do you think it'll get fixed soon ? Your shower. You can come here anytime you know, if you need to.' prenant place sur le grand fauteuil près du feu, Mara se saisit de sa tasse, jouant avec le sachet qu'elle laisse infuser dans l'eau chaude sans pour autant quitter les yeux de la brune qui lui fait maintenant face.

L'eau glisse le long de ses cheveux trop longs, s'échoue entre la peau de son dos et le tissu du pull. Faye détaille les contours de la pièce. Les meubles sont les mêmes, marqués par le temps ; mais leur place est différente. Le regard s'échoue sur le coin de la cheminée, le compliment s'infiltre sous sa peau et fait rougir ses joues – la douceur est étrange, le calme est rare. 'Thanks ?' C'est bancale et peu assuré, un murmure rauque qu'elle accompagne d'un haussement d'épaules. L'air est plein de parfums nouveaux, et Faye vacille dans le confort d'une maison qui n'est pas la sienne. Qui n'a jamais vraiment été la sienne. Elle hésite sur le pas de la porte, s'avance dans la chaleur qui lui brûle la peau. Le ton de sa voix est trop grave et plane dans l'air tiède au-dessus du canapé. 'I don't, actually.' Les livres s'empilent, prennent l'eau, abandonnés avant la fin. La métaphore est douloureusement ironique. La poussière se plaît sur ces tas de pages qu'elle ne lira jamais. Alors elle la laisse. Comme le reste. Elle laisse le temps couler, faire son œuvre. Les histoires étouffer d'elle-même. L'air siffle dans sa gorge. Mara glisse une main distraite sur son bras – le contact est d'une tendresse brutale. L'affection trop simple. Son parfum s'échoue dans le mouvement un peu vif. Mara laisse des traces d'elle partout où elle va, marque l'espace de son aura magnétique ; elle aspire tout, les craintes, les douleurs, les chagrins. Faye oublie le deuil et le manque. Elle sourit vaguement. L'enthousiasme de la blonde se répand sur ses bronches et lui octroie un souffle de répit, qu'elle garde, précieux, sous ses côtes. Elle la regarde s'agiter entre les meubles de la cuisine. Le contraste est saisissant. La pièce s'anime dans ses mouvements vifs et maladroits ; le salon s'est éteint au moment où elle a passé la porte. Mara emmène la lumière avec elle. Faye reste dans un entre-deux brumeux ; le noir d'elle se condense contre sa nuque. Elle oublie le reste, tout ce qui n'existe pas dans le sillon de Mara se trouble et s'efface. Elle n'a pas le temps de tendre la main – le geste est réactif, mais pas assez. Faye plisse le front, garde les doigts suspendus un instant entre leurs deux silhouettes. Le rire s'échappe en un éclat attendri. 'I bet you do.' Elle sait déjà la maladresse et les étourderies ; elles s'écrivent sur la peau de Mara en marques légères qu'elle remarque lorsqu'elle regarde trop longtemps. 'Sorry. I shouldn't laugh. You okay ?' Les coussins du canapé sont plus raides que dans son souvenirs. Elle s'assoit au bord avec une attention poussée. Faye refuse de s'imposer – la politesse trace une ligne invisible qu'elle ne peut pas franchir. Le sachet de thé se noie dans l'eau bouillante. Faye sent le regard de Mara qui appuie sur ses traits. Elle bat des paupières et impose le sien. L'assurance se débat entre ses cils. 'Not sure. I'll have someone come have a look. Or I'll wait it out. Or just, fix it myself.' Elle hausse les épaules. La maison s'érode et elle retient la structure de ses maigres forces. 'It's alright, I'll figure something out.' Elle sourit. 'But thanks anyway.' L'odeur de Warren traîne encore dans l'air, rappelle des souvenirs heureux qui font mal. Faye attrape un biscuit qui s'effrite entre ses doigts. Elle ne sent pas la brûlure contre sa peau rugueuse – sur sa langue, c'est le sel qui s'impose d'abord. Elle pince les lèvres, serre les dents sur un rire. 'Oh, they're… salty.' Mara essaie – les résultats sont timides, mais la volonté abyssale. Faye le sait. Alors elle redresse les épaules et sourit. 'Surprising taste, but not bad at all, actually.' Elle mord à nouveau dans la pâte moelleuse, et cale ses coudes sur ses genoux. 'How did the ratatouille go, by the way ? I haven't heard anything about anyone dying of food poisoning, so I assumed you did well.' L'éclat est moqueur dans ses iris sombres, le souffle un peu saccadé d'une légèreté qu'elle se retrouve et n'admet pas. Parce que les murs vacillent doucement sous les vents que Mara impose ; et derrière, le cœur se plie dans un mécanisme de défense éternel.

L'inconfort est là, dans ses traits tirés, dans ce pull qui ne lui appartient pas mais qui ravive son teint et pousse le compliment. Les lèvres de Mara s'étirent parce qu'elle la connait, cette sensation, ces gens qui fuient ceux qui scrutent de peur d'y voir des vérités difficiles à accepter. Tant pis. Elle donne quand même. 'You're not used to compliments, are you ?' parce que son merci sonne plus comme une question, parce que ses doigts torturent un bout de laine qui se délite du pull. Le ton est léger et sa voix enrobe ; pour une fois que ce n'est pas elle, la gauche de l'histoire, Mara en profite. C'est peut-être ça qu'elle aime dans ce rapport qu'elle entretien avec Faye. Un équilibre certain. Un apaisement automatique. Et c'est à son tour de glisser dans de l'à peu près qui trouble ; elle va trop vite, encore, assume et imagine alors qu'elle n'en sait rien. Tout ce qu'elle sait, Mara, c'est qu'elle a une idée simple de la pêcheuse. Elle n'y peut rien, elle lui brode une vie dans sa tête. Peut-être qu'elle les imagine, ces moments. Peut-être qu'elle les fabule, ses sourires. Mais elle s'y complet, parce que c'est bon. 'I could land it to you if you want.' Elle l'a déjà lu plusieurs fois et puis, l'idée de lui donner quelque chose d'elle lui plait. Allez savoir pourquoi. Et parce qu'elle refuse que le moment s'envole, Mara invite, Mara impose presque de sa présence joviale, de sa paume sur son bras, de ses yeux qui disent tu ne peux pas. Partir. T'en aller. Me laisser. L'assiette de cookies est trop chaude et l'eau qui lui vrille la main s'étale partout mais tant pis, tant pis, Faye reste là. Et même, elle rit. Le son est rare et voluptueux, il estompe la douleur de manière presque immédiate. Le sien s'y mêle. Une moue d'enfant passe sur son visage consterné par elle-même. 'What is that supposed to mean ?!' elle n'accuse pas, non, ce n'est presque même pas une question. La raillerie est facile alors elle l'utilise, comme on le fait avec ses amis. Parce que c'est ce qu'elles sont. Amies. 'I've seen worse, don't worry.' sa main passée sous l'eau froide laisse un léger picotement sur l'épiderme mais rien qui ne l'inquiète vraiment. Des brûlures, elle en a mille sur les mains de ses tentatives souvent vaines en cuisine. Parce que Mara est maladroite et qu'elle ne met pas bien les gants pour attraper les plats, que ses gestes sont trop vifs autour des poêles brulantes, qu'elle ne fait pas attention aux eaux bouillantes. La peau est morcelée de petites histoires du quotidien et la rougeur d'aujourd'hui portera le nom de Faye Winters, voilà tout. Lorsqu'elle retrouve le canapé, elle remarque la raideur de la brune et la comprend ; elle a certainement dû connaitre ce canapé dans d'autres circonstances. Il y a des traces de Ren partout ici. Et c'est peut-être ça, le plus dérangeant dans cette histoire. Il est partout, tout le temps. Entre elles. 'I don't know how you do it. I can't even figure out how to fix my bike most of the time, so this ?' son sourire se perd derrière la tasse fumante qu'elle hume distraitement. 'But if you need painting, I'm your girl, as you can see.' sa main désigne d'un air dramatique les dessins étalés sur la petite table près du feu, ceux qu'elle fait avec les enfants, ces petits bouts de papier qui la représentent bien. Colorés. Désordonnés. Joyeux. Son regard se repose sur le visage de Faye qui lutte pour ne rien montrer mais elle voit, Mara, que quelque chose ne va pas. Et la surprise est vive quand elle lui parle de sel. 'No way.' elle se presse, se penche pour attraper un biscuit qu'elle croque avec entrain, grimace à peine la pâte touche sa langue. 'Damnit, sorry. Don't eat that !' tasse vacillante en main, elle vient se saisir du bout de nourriture encore emprisonné entre les doigts de la brune. Comme on le fait avec un enfant. 'I think I traded sugar for salt... happens more than you know. Sorry.' il y a un peu de déception qui pèse sur ses épaules, encore un raté. Une gorgée lui dénoue la gorge malgré la chaleur ; avant d'enchainer sur une autre catastrophe signée Mara Becker. 'Well, it didn't ? Everything was going fine, it tasted great this time, I promise you. But I dropped the pan on the floor before he got here. You know, one of those old, terracotta ones ? Probably his grandma's, I felt so bad. There were pieces everywhere, couldn't save one bit.' un soupire lasse passe ses lippes au souvenir de son fiasco. 'But I don't know. It was a good night anyway, weirdly ? I ended up making pasta, we had a bit of wine, ended up talking...' son regard croise le sien, soudain. Parce qu'elle était là, elle aussi, sans le vouloir. Faye, au milieu de cette soirée. 'He told me, about the two of you. What he did.' elle triture sa tasse entre ses mains, cherche un peu ses mots. 'I didn't know, and I'm very sorry. it's none of my business, obviously, but you've been kind to me and... I don't know.' elle est gauche, Mara le sait. La pente est glissante et la partie mal engagée. 'This - this is important to me. I just wanted you to know that, I guess.' sa bouche se tord un peu dans une explication archaïque. Mais elle est là, sa vérité. Elle sait. Elle sait parce qu'il lui a dit ; elle sait parce qu'elle l'a déjà vécu, elle aussi. Mais ce lien lui est précieux, et elle n'a pas envie de le perdre. Même si c'est quelque chose qu'elle ne peut pas contrôler.

Faye s'enivre d'un confort étrange. Mara a les gestes tendres et les yeux vifs. La prestance des gestes et la maladresse gracieuse. Elle distille les affres du cœur et recueille les maux au creux de ses paumes. Faye vacille, son attention est disparate et ses envies insensées. Elle se perd entre la raison et ce que son cœur lui dicte. La carcasse de la maison réclame son départ. Mais le reste, le reste – Mara, et ses sourires, et ses yeux, et ses mains, intiment le contraire. Alors, Faye hausse les épaules et plie un peu l'échine au bord du canapé. Les compliments sont rares parce que les relations s'érodent au gré des marées. Parce qu'elle se complaît dans une solitude virulente ; elle s'oublie dans  un métier qui n'est pas le sien. Elle a les mains calleuses et le corps épuisé. Elle n'est pas belle, Faye. Elle est une silhouette frêle qui se désintègre sur les docks. Le spectre d'une famille qui n'est plus. Ses épaules se courbent sous les yeux des passants. On murmure sur son profil. On attend trop d'elle. Elle tient à bouts de bras un business qui tient à cœur. Des habitués qui vantent les mérites des générations avant elle. Tous ceux d'avant. Faye bat des cils au-dessus de la couverture cornée. L'attention lui tord le cœur. 'Yeah, sure.' Le livre est léger entre ses mains, elle le dépose sur le coussin du canapé. Elle prendra peut-être le temps d'effleurer les pages, d'en lire quelques mots. Avant de s'abandonner à une routine qui lui colle à la peau. Mara s'agite dans ses maladresses. Faye remarque les traces sur sa peau. Elle sourit. La plaisanterie flotte, douce, dans l'espace entre leurs silhouettes. Puis l'attention s'éparpille sur les dessins colorés sur le parquet, et la table, et partout, partout, partout – des morceaux de joie qui éclairent une pièce trop sombre. 'Very talented, indeed. I'll think about it.' Faye plisse le nez au-dessus de sa tasse, inspire les effluves du thé, du chocolat, du sel qui lui écorche le palais. Mara est vive dans ses réflexes. Le biscuit s'écrase sur le sol, et Faye retient un rire qui s'effile sur ses lèvres. 'It's alright. It's really not that bad. I've tasted worse.' Elle hausse les épaules. Le goût reste sur son palais. Elle voit les épaules de Mara qui s'affaissent dans un éclat de déception. Faye voudrait tendre la main et la poser sur son épaule, son bras, son genou. Elle se redresse dans une inspiration vive. Puis elle rit, courbée au-dessus de la table. Le son s'élève et se rattrape aux bords des meubles. 'I bet you did.' Elle relève des yeux rieurs sur son profil éthéré ; sur la cascade de cheveux qui se plie à chaque mouvement. Puis la raideur revient – Faye serre les mâchoires sur le reste. 'Oh.' La jalousie est malsaine et lui ravage les côtes. Les images s'impriment sous ses paupières. Elle, à la place de Mara. Elle, à la place de Ren. Les contours sont troubles et les vérités confuses. Faye plisse les lèvres et fixe le reflet de ses yeux dans le thé. 'Ok.' L'air se débat dans sa poitrine. Les joues sont rouges d'une colère mal retenue – d'une humiliation éternelle. Warren est parti. Avec lui, les espoirs d'eux. Puis ensuite, les murmures. La vérité. 'Well, I sure did wish he would've told me too !' Le rire est sourd et s'échoue dans sa gorge. Faye se lève, contourne la table et s'approche de la cheminée. 'Sorry. It's not your fault.' Elle n'ose plus la regarder. Mara est tout ce qu'elle n'est pas – tout ce qu'elle ne pourra jamais être. Pour Ren, pour Pippa. 'Anyway, it happened a long time ago.' Elle soupire contre les pierres. L'affront a été brutal et les plaies restent ouvertes. 'It doesn't matter now. And it doesn't mean he is a bad person.' Faye se défait du feu pour faire face à Mara. Le sang bat en pulsations sourdes dans ses tempes. 'But you know that already.' Elle balaie l'air d'un mouvement leste. Bien sûr, qu'elle sait. Mara connaît Ren mieux que quiconque, désormais. Elle est sienne. 'I never meant to stand in the way of your relationship. Really. I hope what happened between him and me doesn't change anything about how you feel about him. You look… You look happy, together. I don't want to ruin what you have.' La colère gronde, profonde, au creux de son ventre. Faye ne ment pas. Mais les mots dissipent une vérité silencieuse. I want what you have. I had what you have. And then I lost it. Twice.

C'est un pull qui frôle sa peau, c'est une tasse chaude dans sa main, ce sont quelques pages qui, peut-être, lui resteront en tête. Sans s'en rendre compte, Mara essaye de laisser sa trace, là où elle peut, dans le sillage d'une amitié qui lui parait douce. C'est insensé, sur le papier elles ne devraient pas s'entendre. Faye l'a repoussée trop de fois pour qu'elle s'acharne. Et pourtant. Mara aime déjouer le destin, elle aime la tournure des choses, elle aime savoir que, dans un coin de sa tête, la brune s'est sentie assez confiante pour venir lui demander son aide. Qu'elle ait accepté de rester, aussi. Les minutes filent. Le feu crépite. Il y a une odeur de sucre et de miel dans l'air. 'I'm serious tho, I like painting. It calms me.' rien que d'en parler, sa voix s'apaise. Les canevas et les feuilles et les murs, tout est une question de mouvement. Elle aime la quiétude qui s'en dégage. Elle retrouve un peu de silence dans la cacophonie du reste de sa vie. Au moins, il y a peu d'échecs en peinture. Tout est subjectif. Sa main claque dans l'air et le biscuit s'écrase au sol ; elle s'empresse de le ramasser, se dit que les miettes attendront plus tard. Il y a toujours un coin de poussière dans ces vieilles maison anyway. 'Come on, don't play the nice card.' l'ironie se sent dans sa voix, sa bouche salive encore du sel plus que présent dans la préparation. Parfois, Mara se demande s'il y a quelque chose qu'elle fait bien, toujours. Et elle ne trouve pas la réponse. Alors elle se rassoit, ravale son égo fêlé et rince sa langue d'une longue gorgée chaude. L'intérêt de Faye est à peine feint quand elle lui explique le fiasco de sa soirée ; un échec, encore un autre. Même si la fin c'était avérée plus douce avec Ren, même si toute culpabilité l'avait quitté au moment où il avait commencé à lui parler de ses erreurs. La raideur revient, Mara le voit immédiatement. Elle la regrette mais trouve important de crever l'abcès, maintenant. Elle a déjà trop de secrets à porter comme ça. Les flammes dansent sur ses joues rougies et à son tour, Mara aimerait poser sa main sur elle pour s'excuser, pour l'aider. Mais ce n'est pas le moment ; et la brune se lève dans un bon qui lui fait presque peur. Il y a de la colère dans son ton, une colère qu'elle comprend. 'No, it's not.' ce n'est pas sa faute et elle le sait, d'où sa douceur. Elles n'ont pas à s'affronter sur ce point. 'I never thought he was.' elle se rend compte de la distance qu'elle met dans sa voix, comme s'il était un inconnu qu'elle venait à peine de rencontrer ; pas l'amour de sa vie qu'elle devrait jouer. 'But that doesn't mean I approve what he did.' la sincérité se loge dans le fond de ses yeux et Mara se lève à son tour, s'approche, tasse, en main. Elle s'apprête à tendre la main vers son épaule avant de l'entendre et de raviser son geste, passant ses doigts dans ses cheveux lestes. Elle a l'air heureuse. Elle a l'air heureuse. Elle a l'air... 'I meant it, it's none of my business. But I hope, I don't know. I like... this.' sa main bouge entre leurs deux silhouettes, avant qu'elle n'enroule son bras autour de son buste. 'This friendship, it makes my time here even better. I hope it isn't too much, that's all. I could understand.' mais elle espère, dans sa voix, dans ses yeux, dans son souffle un peu cassé, qu'elle n'est pas de trop. Qu'elle n'impose rien. Qu'elle n'a pas brisé quoi que ce soit avant même que ça ne commence.